La loi sur les retraites sera débattue à l’Assemblée nationale entre le 7 et le 11 octobre, à l’exception des dispositions concernant les cotisations qui seront examinées la semaine du 21 octobre, dans le cadre du débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le gouvernement a soigneusement préparé sa communication, largement relayée par les médias. Celle-ci repose sur deux affirmations, au demeurant contradictoires :
– Premier mensonge, le système de retraites par répartition court à sa perte si rien n’est fait. Pour le « sauver », face à des contraintes « incontournables » (le vieillissement de la population et donc l’accroissement du nombre de retraitéEs, les « déficits » croissants qui en découlent...), il est nécessaire de « réformer », même si c’est douloureux pour les salariéEs actifEs et retraitéEs.– Deuxième mensonge , cette « réforme » n’a rien de dramatique. Elle nécessite seulement de « petits » efforts, échelonnés dans le temps et donc presque indolores. Elle peut même pour certains (les femmes, les jeunes, les salariéEs exerçant des travaux pénibles) être source d’avancées sociales...Une « réforme » est donc nécessaire, mais elle peut être une « bonne réforme », « juste et équilibrée » négociée dans le cadre du « dialogue social » avec des dirigeants syndicaux responsables, comme ceux de la CFDT.Par ce dossier, le NPA veut contribuer à contrer cette propagande mensongère. Nous voulons aider à la construction d’une indispensable mobilisation pour exiger le retrait d’un projet cohérent qui n’est ni amendable ni négociable, et qui vise non à sauver mais à poursuivre la destruction de la Sécurité sociale.Ce serait une première victoire face à ce gouvernement d’austérité. La loi : décryptage1. L’allongement de la durée de cotisation est reporté à 2020 FAUXLa durée de cotisation pour bénéficier de la retraite à taux plein des assurés sociaux du régime général et des fonctionnaires est actuellement de 166 trimestres (41,5 ans) pour la génération à compter de 1955. Elle passera à 167 trimestres pour la génération de 1958 qui prendra sa retraite en 2020. En effet, la loi Fillon qui lie la durée de cotisation aux gains d’espérance de vie est maintenue, et entre 2020 et 2035, la durée de cotisation est à nouveau augmentée d’un trimestre de plus tous les trois ans pour atteindre 43 ans pour celles et ceux néEs à partir du 1er janvier 1973.2. Le gouvernement ne touche pas au système actuel des retraites FAUXUn article du projet de loi intitulé « Règles et dispositif de pilotage » précise le rôle d’un « comité de surveillance des retraites composé de cinq personnes compétentes en matière des retraites » qui devra chaque année faire des recommandations pouvant avoir pour effet « d’augmenter le taux de cotisations des régimes de base et complémentaires au-delà des bornes fixées par décret » et aussi « de réduire le taux de remplacement (pourcentage du salaire conservé lors du départ en retraite) assuré par les retraites au-delà des bornes fixées par décret ».Les pensions versées par la Sécurité sociale et les régimes complémentaires fonctionnent actuellement selon le principe des prestations définies : le financement doit s’adapter au montant des pensions. Selon les nouvelles règles, les cotisations ne devraient pas dépasser un plafond défini auparavant et les pensions s’adapter chaque année au financement. On bascule dans un système de « cotisations définies », y compris pour les complémentaires, les prestations devant s’adapter aux recettes.Ce changement systémique est une rupture avec les principes de 1945, selon lesquels chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il a entraîné une dégradation importante du niveau de vie dans plusieurs pays, notamment en Suède.3. L’âge de départ à la retraite n’est pas repoussé FAUXL’âge légal reste fixé à 62 ans... mais dans la réalité ce ne sera pas possible pour l’immense majorité des salariéEs. Ils ne toucheraient dans la plupart des cas qu’une pension rabotée en raison de la décote qui s’applique sur son montant, faute d’avoir travaillé le nombre de trimestres requis. Pour toucher une retraite à taux plein, la génération de 1973 devra travailler sans discontinuer à partir de 17 ans !4. Les mesures sur la pénibilité au travail sont une avancée importante FAUXLe gouvernement annonce des mesures dites de justice sociale, la mesure phare étant « le compte pénibilité au travail » destiné uniquement aux salariés régis par le droit privé. La pénibilité est limitée aux critères définis par le code du travail : « contraintes physiques marquées, environnement physique agressif, rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé ».Les trimestres de travail exposés à la pénibilité, selon la déclaration de l’employeur, valideront des points qui permettront de bénéficier de congés formation afin de changer de métier, de travailler à temps partiel payé à temps plein en fin de carrière, ou de bénéficier d’une majoration du nombre de trimestres cotisés. Les barèmes seront définis par décret. Des limites sont déjà apportées au dispositif : plafonnement du nombre de points, obligation d’utiliser des points pour la formation, possibilité pour l’entreprise de refuser le temps partiel prévu pour les travailleurs en fin de carrière…Bref, il y aura peu d’élus et ils bénéficieront de faibles compensations, au mieux une retraite anticipée d’un ou deux trimestres. Rien n’est prévu par le gouvernement pour ce qui devrait être primordial : lutter contre la pénibilité, imposer des changements dans l’organisation du travail, tout ce qui engendre souffrance morale et physique.5. C’est une réforme en faveur des jeunes FAUXParmi les jeunes en formation professionnelle, seulEs les apprentiEs pourront valider les trimestres en stage. Les étudiants notamment sont exclus de cette disposition. La durée des études et des formations ne sera pas prise en compte.Le rachat des quelques années d’étude devrait toujours être possible à la fin des études et à des conditions fixées par décret. Elle serait selon les annonces gouvernementales possible jusqu’à 4 trimestres maximum, dans les 5 ou 10 ans suivant la fin de leurs études, et un peu moins prohibitives qu’actuellement... mais inatteignables pour la plupart des jeunes.Les générations successives seront de plus en plus pénalisées par les allongements des durées de cotisation.6. Les fonctionnaires ne sont pas concernés FAUXL’allongement de la durée de cotisation et l’augmentation des cotisations concernent aussi bien les fonctionnaires que le secteur privé. Le gouvernement n’a toutefois pas osé à cette étape aligner les régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF-GDF, etc.) sur le régime général, ni modifier le calcul des pensions des fonctionnaires (calculées sur les 6 derniers mois) en les alignant sur le régime général (prenant en compte les 25 meilleures années). Il espère ainsi éviter une mobilisation d’ensemble.À noter que les indemnités et primes diverses ne sont pas prises en compte pour le calcul des retraites des fonctionnaires, et que de ce fait le niveau respectif des pensions versées aux ancienEs salariéEs du public et du privé est proche.7. Il n’y aura pas de gel des pensions FAUXDepuis 1987, le montant des pensions n’évolue plus comme les salaires, mais est indexé sur l’indice officiel des prix. Une nouvelle mesure va aggraver la dégradation du niveau de vie des retraitéEs. La revalorisation annuelle des pensions au 1er avril sera reportée au 1er octobre, sauf pour les personnes titulaires du minimum vieillesse (« l’allocation de solidarité aux personnes âgées », prestation sans contrepartie de cotisation destinée aux personnes qui ont des revenus inférieurs à 787,26 euros net par mois). Ce gel des pensions pendant 18 mois permettra une « économie » de 0,6 milliard en 2014, de 2 milliards en 2020... une économie piquée dans la poche des retraités.8. L’augmentation des cotisations est « équitable » FAUXLes parts patronale et salariale des cotisations augmenteront dans les mêmes proportions : 0,14 % en 2014, puis 0,05 % les années suivantes, au total 0,30 % (à l’étape actuelle). L’augmentation de la part salariale diminue le pouvoir d’achat des salariés (54 euros par an pour un salarié au Smic en 2020). Les patrons n’auront eux rien à payer, car Jean-Marc Ayrault a annoncé une compensation intégrale de l’augmentation de la part des employeurs. Ce nouveau cadeau aux patrons sera payé par les actifEs et les retraitéEs.9. Les mesures en faveur des femmes réduiront les inégalités FAUXL’allongement de la durée de cotisation augmentera les inégalités de pension entre les hommes et les femmes, qui ont des carrières plus courtes, plus discontinues, tandis que les mesures annoncées sont minimales et très vagues.Le salaire moyen des femmes est inférieur de 27 % celui des hommes, le montant des pensions de retraite est moindre de 42 %. Le projet de loi prévoit de « faciliter l’acquisition de trimestres pour les assurés à faible rémunération » et de « mieux compenser l’effet sur les pensions des interruptions de carrières liées aux jeunes enfants ». Les mesures effectives sont renvoyées à des décrets.La seule mesure concrète porte sur la validation des trimestres de travail à temps partiel des salariéEs du privé pour qu’ils soient pris en compte dans le calcul de la pension. Pour cela, il faudra gagner durant un trimestre 150 fois l’équivalent du SMIC horaire au lieu de 200 fois.Les travailleurs qui n’ont pas d’autres choix que des contrats courts, bien souvent des femmes, pourront bénéficier de plus de trimestres validés, mais l’augmentation des retraites restera dans la majorité des cas très minime. C’est le reflet des bas salaires. Cette mesure peut inciter les employeurs à multiplier les contrats de travail très courts et donc à développer la précarité puisqu’aucune mesure n’est envisagée pour lutter contre elle.Un nouveau pas dans la destruction de la « Sécu »
C’est donc un recul sur toute la ligne qui s’annonce pour l’ensemble des salariéEs. Les méfaits de cette réforme ne s’arrêtent pourtant pas là. Le gouvernement s’est en effet engagé auprès du Medef à compenser l’augmentation des cotisations patronales « retraites » par la baisse d’autres « charges »... En d’autres termes la réforme ne coûtera pas un centime aux patrons. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 prévoit une baisse de 0,15 point de la part patronale des cotisations familiales. La compensation serait réalisée notamment par l’augmentation de la TVA de 19,6 à 20 % (taux concernant la majorité des biens et services) et de 7 à 10 % (taux concernant les logements sociaux, les transports de voyageurs, la restauration…) dès le 1er janvier. C’est le retour de la TVA « sociale » que voulait instaurer Sarkozy ! Ce n’est qu’une ébauche du projet gouvernemental, Ayrault a déclaré que la compensation porterait sur les cotisations de la branche famille et de la branche maladie de la Sécurité sociale.
Double peineEn un mot : ce qui sera payé en plus par les patrons pour financer les retraites sera payé en moins pour financer les allocations familiales dans un premier temps et l’assurance maladie ensuite. C’est donc dans tous les cas la Sécu et les salariés qui trinquent, et qui devront payer par leurs impôts ce que les employeurs ne financent plus ! C’est donc la double peine : payer plus pour moins de prestations sociales (retraites ou famille).De ce point de vue, la réforme des retraites complète les mesures déjà prises ou à venir du gouvernement contre la Sécurité sociale : la généralisation des « complémentaires santé » dans l’accord ANI (en remplacement de l’assurance maladie), et la réforme à venir du financement de la Sécurité sociale.C’est un pas de plus vers une transformation radicale de la protection sociale voulue par l’Union européenne : passer d’un système unique (garantissant à tous des droits sociaux) à trois « piliers » : une couverture minimum (essentiellement financée par les impôts des salariés), une couverture « professionnelle » (assurance collective dans le cadre de l’entreprise, et donc liée à celle-ci), et une assurance individuelle facultative. Sous couvert de « sauver la Sécu », c’est donc sa liquidation qui est ainsi programmée.
La seule perspective pour les salariéEs, c’est donc bien le retrait dans sa totalité de ce projet qui n’est ni amendable ni négociable, l’abrogation des contre-réformes qui l’ont précédé depuis 1993, le financement par l’accroissement des cotisations sociales patronales des retraites par répartition, garantissant à chacunE au plus tard à 60 ans la prolongation de son meilleur salaire.
Dossier réalisé par la commission nationale santé-sécu-social
Le site de la commission santé-sécu-social du NPA : http://siteinfosecusante.free.fr