Publié le Mercredi 29 mars 2023 à 17h22.

Rennes la rouge...

C’est sans doute cette formule qui incarne le mieux ce qui se passe à Rennes depuis le début du mouvement contre les retraites. C’est en effet un cocktail explosif qui fait de la ville un concentré de phénomènes incontrôlables pour le pouvoir.

Ce n’est pas spécifique à Rennes, mais le nombre de manifestatntEs est très élevé, et chacune des manifestations les plus importantes atteint des niveaux historiques, avec des dizaines de milliers de participantEs. Les défilés sont populaires, avec des familles, des retraitéEs en grand nombre, des cheminotEs, des salariéEs de tous les secteurs, notamment du privé, du bâtiment, de Stellantis (ex-PSA), des personnelEs de santé en rangs serrés, les mêmes qui avaient manifesté pour les salaires à l’automne, et bien sûr des jeunes lycéenEs et étudiantEs. La prestation télévisée lamentable de Macron a provoqué une forme d’élargissement : le jeudi 23, on a vu apparaître des cortèges très déterminés de l’école d’architecture, de l’INSA, mais aussi des bureaux d’avocatEs sortis tous ensemble, stationnés aux abords d’une librairie « fermée pour pouvoir aller manifester » comme l’indiquait l’affichette sur la vitrine. 

Grèves, blocages...

Là encore, les taux de grévistes et les secteurs touchés n’ont rien d’exceptionnel, mais les blocages ont pris une tournure spectaculaire. Les plateformes de collecte des déchets sont bloquées depuis deux semaines, le dépôt pétrolier de Vern a été débloqué seulement mercredi, les dépôts de bus sont régulièrement bloqués provoquant la paralysie du réseau. À chaque fois, le succès des blocages provient d’une conjonction de grévistes, de syndicalistes très motivéEs et de membres des différentes AG qui regroupent des centaines de militantEs mobilisés depuis le début et qui ne faiblissent pas, bien au contraire.

Les AG

AG des cheminotEs en grève, AG de Rennes sud — héritée d’une forte tradition de mobilisations dans ce quartier, notamment autour des luttes de l’éduc —, AG éduc regroupant des enseignantEs syndiqués (Sud, FO, CGT, FSU, CNT) ou non, AG de l’université Rennes 2, AG des personnelEs de Rennes 2 ou de Rennes 1, AG de Sciences-Po, et maintenant AG de Rennes 1 et AG interlycées : elles ne sont pas massives mais fonctionnent comme autant de comités de lutte très radicaux. Un cas à part, l’AG dite « Maison du peuple », en référence à la volonté d’ouvrir un tel lieu, répété deux fois cette année et deux fois expulsé par la police, qui regroupe à chacune de ses réunions plusieurs centaines de personnes (de 150 à 500 ces derniers jours). Celle-ci, en lien avec toutes les autres et les regroupant partiellement.

Rennes, ville morte

Le lundi 20 mars, c’est sous l’impulsion de ces AG qu’a été organisée l’opération qui a permis le blocage quasi-généralisé de la rocade et de nombreuses entrées de la ville. Pour mettre en place ces blocages, pour les tenir une bonne partie de la matinée, ce sont 4 à 500 personnes, grévistes, étudiantEs, militantEs syndicaux et politiques, qui se sont mobilisées. L’opération a été également menée à Nantes et doit se reproduire au niveau de la région le 28 mars.

Manifs sauvages, affrontements... 

Depuis le 49.3, le centre-ville de Rennes voit chaque soir des centaines de personnes manifester, déjouer les dispositifs policiers, affronter les flics, et souvent s’en prendre à des symboles de la société capitaliste, comme le grand hôtel de luxe, le Mama Shelter, qui vient d’ouvrir au cœur du centre historique. Ce type de manifestation à Rennes n’est pas nouveau, ce qui l’est c’est le nombre de personnes qui y participent et surtout l’accueil de plus en plus complaisant par de plus en plus d’actrices et d’acteurs du mouvement. 

...et radicalisation

Il en va de même des affrontements qui opposent des centaines de manifestantEs à la police, sous l’impulsion des milieux autonomes. Alors que ces heurts perturbent le déroulement des manifestations de masse, de plus en plus de participantEs les regardent avec curiosité, une certaine complaisance voire avec bienveillance ! Cela fait tellement d’heures que nous tournons en rond autour de la ville sans aucun résultat !

D’autres éléments confirment cette tendance, de façon plus tranquille : le succès de la marche aux flambeaux du 21 mars, à l’appel des seuls Solidaires, qui a réuni plusieurs milliers de personnes, le succès aussi du rassemblement appelé par Nous Toutes 35 le soir du 49.3, vers lequel a été redirigé — en manif — le rassemblement syndical devant la préfecture. Et dans un cas comme dans l’autre, les gens ne voulaient pas repartir, restaient sur la place... comme une invitation à poursuivre ensemble ! 

Saurons-nous nous saisir de cette disponibilité ? Il faut dire — contradiction inhérente à l’ambiance de la rue rennaise — que dans un cas comme dans l’autre, les lacrymogènes et les canons à eau y ont mis un terme précipité... Peut-être trouverons-nous un usage partagé de la rue entre formes de lutte différentes ?