Dans le contexte d’aggravation des inégalités au sein de la société, de plus en plus de travailleurs à la retraite voient leur situation se dégrader.Avec l’augmentation des prix, en particulier de l’énergie, et la stagnation du niveau des pensions, de très nombreux retraités basculent dans la pauvreté. Cette situation a été pointée par des associations caritatives comme les Restos du cœur, qui ont remarqué l’arrivée de cette nouvelle catégorie. Pour pouvoir s’en sortir, ils sont de plus en plus nombreux à reprendre une activité salariée. Depuis le 1er janvier 2009, les règles qui encadraient le cumul d’une pension de retraite et d’une activité salariée ont été considérablement assouplies. Le nouveau cadre législatif incite fortement les salariés à poursuivre leur activité, en mettant en place une surcote annuelle de 5 % au-delà de 60 ans, et facilite le retour de ceux qui ont déjà liquidé leur pension. Si l’on ajoute à cette libéralisation du cumul emploi-retraite la mise en place du statut de l’auto-entrepreneur et le marché des services à la personne, nous avons là tous les ingrédients d’un scénario à l’américaine pour les prochaines années : des pensions ridiculement basses contraignant la majorité des retraités à travailler, ce qui aura pour effet de renforcer la concurrence sur le marché de l’emploi ! Déjà, de nombreux sites internet se sont spécialisés dans les annonces de jobs pour seniors. On voit donc combien la prétendue négociation en cours au sujet de la réforme des retraites est un véritable jeu de dupes. En aucun cas le gouvernement et le patronat n’ont l’intention de sauver un système de répartition qui cumule deux fautes impardonnables à leurs yeux : fonctionner sur un principe de solidarité et soustraire des milliards d’euros à la valorisation du capital. Par petites touches, ils sont déjà parvenus à saper les fondements du système, dont le principe élémentaire était de pouvoir vivre après une vie de labeur. Mais pour le capital, il ne doit y avoir aucune pause dans la production de valeur : un bon travailleur est un travailleur qui travaille… jusqu’au bout. Et c’est bien le sens de la proposition du ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel. Lorsqu’il a déclenché la polémique au sujet du recours à de « jeunes retraités » enseignants pour assurer le remplacement de leurs collègues, il l’a fait en connaissance de cause. L’idée avait déjà été évoquée à l’occasion de l’instauration du service minimum dans le primaire. Il ne s’agit donc pas de provocations, mais d’un projet politique : la mise en concurrence généralisée de tous les salariés. Les seuls qui pourront bénéficier d’une retraite seront ceux qui l’auront méritée, c’est-à-dire ceux qui auront confié leurs économies aux multinationales de l’assurance, comme nous le conseille Zinedine Zidane dans une publicité particulièrement touchante ! Mais ce phénomène de reprise d’activité ne s’explique pas uniquement pour des raisons financières. Pour beaucoup de salariés, si le départ à la retraite est un soulagement par rapport à la charge de travail et aux pressions quotidiennes, c’est souvent dans le même mouvement une rupture. C’est tout un cadre social qui disparaît : la pause café, les blagues avec les collègues, l’entraide, la solidarité, un sentiment d’utilité… La discussion doit également porter sur notre vision de la société et sur les alternatives que nous devons construire pour briser l’hégémonie de la condition salariale, qui a envahi l’ensemble de l’espace public. Alors que, dans ce système, la valeur d’un individu se résume à ses capacités physiques et intellectuelles de production, il est essentiel de mettre en avant un projet de société où chaque individu puisse trouver sa place, en dehors des catégories binaires actifs/inactifs. Ce débat doit être au cœur de la mobilisation contre les projets du gouvernement et du Medef. Henri Clément