Le 13 juin, l’Élysée a enfin reconnu officiellement l’inutilité de l’état d’urgence dans la prévention des actes terroristes, mais quelques jours plus tard, le 22 juin, lors de la réunion du conseil des ministres, le ministre de l’Intérieur a pourtant présenté la 6e prolongation de celui-ci jusqu’au 1er novembre ! À cette date, il cessera pour entrer définitivement dans le droit commun grâce à une nouvelle loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ».
Depuis 30 ans, 25 (!) lois de sécurité intérieure et de lutte antiterroriste (la dernière date du 28 février 2017) ont renforcé les missions et les moyens d’une justice et d’une police spécialisées dans la sécurité intérieure, le renseignement et l’antiterrorisme. Cette nouvelle loi est d’une autre nature, plus dangereuse et insidieuse : elle vise à inscrire dans le droit commun un ensemble de règles d’exception liberticides.
La novlangue, camouflage du tout-réac
L’état d’urgence est dans le projet de loi, mais sous un vocabulaire relooké. Ainsi les perquisitions administratives deviennent « visites et saisies ». Certes, elles devront obtenir l’avis d’un juge judiciaire (le JLD), ce qui est mieux que le tout-préfectoral, mais de jour comme de nuit, elles gardent leur caractère inutilement traumatisant. Lors de celles-ci, le matériel électronique pourra être saisi.
Les assignations à résidence deviennent « l’obligation de résider dans un périmètre délimité non inférieur à la commune ». Prononcées pour une durée de 3 mois, elles sont renouvelables à perpétuité. Les passeports pourront être retirés. Il faudra pointer au commissariat chaque jour, déclarer ses déplacements et donner ses identifiants électroniques. Le port du bracelet électronique, méthode peu coûteuse et extrêmement efficace dans la surveillance de toute une population, sera proposé.
Les zones de sécurité deviennent « des périmètres de sécurité » qui pourront être décidés par les préfets, n’importe où, lors d’événements de toutes sortes : fêtes, braderies, manifestations. Dans ces périmètres, les pouvoirs de police seront exceptionnels : palpations corporelles, fouille des sacs et des véhicules.
Enfin, les lieux de culte pourront être fermés pour une durée de 6 mois renouvelables « en raison des propos, idées ou théories tenus, ou d’activités qui poussent à commettre des actes de terrorisme ou en font l’apologie et incitent à la violence ».
Ce projet peut être durci. D’abord par Macron qui demande déjà davantage de recoupements entre les différents fichiers policiers, puis avec la transposition de directives européennes liberticides en matière de renseignement et de fichage, puis par les parlementaires.
« La pilule empoisonnée » (Jacques Toubon, défenseur des droits)
L’inscription dans la loi répond à plusieurs préoccupations politiques. Pour le nouveau pouvoir, la sortie de l’état d’urgence était délicate. En inscrivant celui-ci dans le droit commun, le gouvernement résout la difficulté, tout en s’exonérant de la notion de péril imminent et de l’obligation, même a minima, de rendre des comptes. De plus, Macron souhaite une Assemblée nationale complètement à sa botte, et c’est facile avec les projets sécuritaires. Enfin, cela lui permet de se donner les moyens légaux et durables d’un maintien de l’ordre musclé.
S’il joue la cohésion de son camp, Macron joue bien sûr la division du nôtre. En instituant la suspicion comme motif légal de répression, il renforce une société de la peur et de la défiance. Et encore une fois, les premiers concernés sont les -musulmans ou supposés tels.
La suspicion, forcément subjective, fait reculer l’ensemble des droits. Non seulement le droit à la liberté devient un droit aléatoire, mais celui à la sûreté est menacé, car chacun risquera toujours d’être suspecté et condamné.
Créer à ce point un pouvoir exécutif absolu a un sens : celui de casser toute solidarité, de mater toute résistance, d’imposer par un régime autoritaire une politique pour l’intérêt de quelques-uns, contre celui de tous les autres.
Roseline Vachetta