Les prisons sont-elles des espaces hors du droit ? On peut légitimement se poser la question à la lecture du rapport du député Dominique Raimbourg, réalisé à la demande de Valls, au sujet « des préconisations sur les modalités d’application de l’encellulement individuel. »
Ces propositions visent à appliquer une loi votée en... 1875 et dont l’application a toujours été repoussée par tous les gouvernements. Parfois, ce n’était pas le bon moment politique, « l’opinion ne comprendrait pas », parfois il n’y avait pas les financements. Bref, depuis 140 ans, l’État ne respecte pas sa propre loi qui stipule : « Tous les détenus doivent pouvoir être placés en cellule individuelle à moins qu’ils aient fait la demande contraire »...On est loin du compte quand on sait qu’au 1er novembre, il y avait 64 494 détenuEs en France pour seulement 58 000 places, le plus souvent dans des conditions clairement contraires à la loi de 1875 : il existe encore 2 271 cellules collectives (plus de deux places) et 213 dortoirs (au moins 6 places). à peine 4 personnes détenues sur 10 peuvent accéder à une cellule individuelle alors que 8 sur 10 en font la demande. De plus, bénéficier d’une cellule à une place ne signifie pas pour autant que l’on y vive seul : la majorité des cellules individuelles font 11 mètres carrés pour permettre de rajouter un second lit, « au cas où... » selon l’administration. Concrètement, cela signifie que chaque soir, les surveillants doivent déposer un millier de matelas par terre dans l’ensemble des prisons pour tenter de faire face à la pénurie. C’est dans les maisons d’arrêt que la situation est la plus tendue, là où transitent toutes les personnes en détention préventive et tous les auteurs de faits délictueux, des plus mineurs jusqu’aux plus graves. Conditions de vie dégradantes, dignité bafouée, promiscuité, conflits, augmentation du nombre de suicides, tout cela est connu et dénoncé régulièrement par les détenuEs, leurs familles, l’Observatoire international des prisons (OIP), les différents syndicats de la justice et des services pénitenciers, mais également par le contrôleur des lieux de privation de liberté et même par la Cour européenne des droits de l’homme.
Supprimer le surpeuplement carcéralC’est dire que les conclusions du rapport Raimbourg étaient attendues. Hélas, la seule proposition, suivie d’une décision immédiate, a été celle d’un nouveau report jusqu’à octobre 2022, date à laquelle « le strict respect de l’encellulement individuel sera atteint ». Les autres préconisations tournent autour du renforcement du contrôle général sur les lieux de privation, la suppression des dortoirs et la transformation des 2 271 cellules multiples en 6 524 individuelles, l’obligation d’atteindre 80 % de cellules individuelles lors de la construction des nouvelles prisons.à la privation de liberté vont donc continuer de s’ajouter l’humiliation et l’absence de dignité. Mais le problème de fond n’est pas là : pour supprimer le surpeuplement carcéral, il faut cesser d’envoyer les gens en prison ! Cela favorise la récidive chez ceux qui commettent de petits délits c’est-à-dire dans 72 % des cas. Pour tous ceux-là, l’éducation, la prévention, l’égalité des droits, la reconnaissance de chacunE, la possibilité d’un réel avenir, ouvrirait une alternative à la petite délinquance. De plus, il faut sortir des prisons les 30 % de personnes souffrant de troubles psychiatriques et qui ont besoin d’être soignées plutôt qu’ incarcérées. Enfin, il faut en finir avec la profusion de lois liberticides qui tentent, et parfois réussissent, à emprisonner nos résistances !
Roseline Vachetta