Ce que la presse a convenu d’appeler le « procès de la voiture de police incendiée du quai de Valmy » a rendu son verdict le 11 octobre : de très lourdes peines pour une partie des neuf accusés. Sept, cinq, quatre et deux ans d’emprisonnement, dont la moitié ferme, pour six d’entre eux.
Nous avions déjà exprimé notre position, quant au fond, sur la tactique de « confrontation avec la police » directe et violente défendue par divers militantes et militants engagés dans la mobilisation contre la loi travail du printemps 2016 (voir l’article Sur la violence dans le mouvement contre la loi travail, numéro 78 de juillet 2016). Pour résumer : moralement douteuse et politiquement désastreuse.
Il ne s’agit cependant pas de cela ici. Mais du sort réservé à neuf personnes en chair et en os, dont certaines ont d’ailleurs nié leur participation aux faits qui leur étaient reprochés. On ne peut que reprendre le jugement sur le jugement du journaliste Henri Seckel, qui était pourtant fort caustique voire goguenard à l’égard des prévenus et surtout de leurs soutiens (numéro du Monde daté du 13 octobre) : « l’annonce du délibéré (…) laissera l’image d’une justice ayant essayé de faire entrer un rond dans un carré, et de tordre le droit pour établir une culpabilité. »
Six personnes ont été condamnées à des années de prison ferme pour « violences aggravées », à savoir l’attaque du véhicule dans lequel se trouvaient deux policiers. Sauf que, comme le signale Le Monde, les « deux peines les plus lourdes sont sujettes à polémique du fait de l’absence de preuve formelle contre les prévenus », Ari Rustenholz et Antonin Bernanos, qui pour leur part nient tout. Le procès a donc vu la confrontation du visage d’Antonin Bernanos « à découvert » avec le visage cagoulé de l’agresseur, des arguties sans fin sur des captures d’écran illisibles, tout cela pour permettre au vice-procureur de conclure : « ce sont des détails, mais on est sur un cumul de détails qui, à la fin, fera peut-être une preuve », et au président de tribunal de déclarer coupable Antonin Bernanos en « l’absence de tout doute raisonnable ».
Car il n’ose pas prétendre que la preuve est constituée. « Absence de doute raisonnable » appuyée d’un côté sur ce « cumul de détails » et de l’autre sur le témoignage anonyme… d’un agent des renseignements généraux. On croyait naïvement que dans les systèmes judiciaires le « bénéfice du doute » était en faveur de l’accusé, désormais le faisceau de « présomptions » permet de condamner. Encore une inversion de la hiérarchie des normes sans doute ?
Apprécions encore une fois le deux poids deux mesures : un jeune militant catalogué « anarcho-autonome » par les services de police est condamné à cinq ans de prison dont trois fermes, sans preuve formelle. Un policier qui frappe un lycéen mineur de Bergson dans le 19e à Paris est, lui, suspendu puis condamné à huit mois avec sursis. Seulement parce qu’il a été filmé en train de faire son coup. De ses collègues qui, cent mètres plus haut, tabassaient et gazaient des lycéens non sans avoir masqué leur matricule, on n’ a pas de nouvelles. Aucun « cumul de détails » n’a permis à leur hiérarchie de les identifier, semble-t-il. Comme quoi la police fait beaucoup pour rendre viral le slogan « tout le monde déteste la police » – et certains juges.
Une peine « légère » du verdict mérite cependant notre attention : Leandro Lopes a été condamné à un an de prison avec sursis. Il était poursuivi pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires », c’est-à-dire pour s’être trouvé dans la manifestation interdite qui a croisé le chemin de la voiture de police en question. Est-ce autre chose qu’une réinvention du délit d’opinion, via le délit de simple participation à une manif interdite, qui marginalement tourne au grabuge ? Tous les « fouteurs de bordel », comme dirait l’autre, sont donc prévenus : participez à une manif contre les violences policières, pour les droits des Palestiniens, contre des licenciements, pour le prix du lait, vous risquez gros si elle est interdite, s’il y a de la casse.
Valls avait réclamé des « sanctions implacables » le soir de l’incendie de la voiture. Ses successeurs embrayent sur le même chemin, où la police se passe de plus en plus des juges et où les juges obéissent à la commande répressive du pouvoir.
Yann Cézard