C’est dans l’indifférence quasi totale de la part des politiques, des médias et même malheureusement de certains syndicalistes, que se met en place en cette rentrée une nouvelle réforme de la formation et du recrutement des enseignantEs. La troisième en 10 ans.
Même la plupart des profs n’y comprennent plus rien : IUFM supprimé puis transformé en ESPÉ puis maintenant en INSPÉ… Les conséquences de cette réforme sont pourtant dramatiques et reviennent en partie à la réforme initiée il y a 10 ans sous Sarkozy, avec déjà comme n°2 du ministère un certain Jean-Michel Blanquer. À l’époque, cela avait abouti à la suppression de 80 000 postes d’enseignantEs et à une baisse de 30 % des candidatEs aux concours. Pourtant tout le monde s’accorde à dire qu’on manque de profs aujourd’hui !
La liberté pédagogique dans la ligne de mire
La réforme actuelle reprend une partie de celle de 2009-2010 avec la « masterisation », c’est-à-dire le report d’un an du concours de recrutement qui passe de la fin du M1 (bac + 4) à la fin du M2. Comme en 2009-2010, cela ne va faire qu’aggraver la crise d’attractivité des concours. En effet, en voyant repoussée d’un an l’obtention d’un salaire, une partie des candidatEs potentiels vont renoncer à se présenter aux concours de l’Éducation nationale, et ceci va être particulièrement vrai pour celles et ceux des milieux les plus modestes. Et ce n’est pas le salaire proposé par l’Éducation nationale qui va être attirant pour des bacs + 5 qui peuvent gagner bien mieux ailleurs.
Mais cette réforme va plus loin en modifiant la formation initiale et les Masters MEEF (métiers de l’éducation, de l’enseignement et de la formation). Blanquer insiste sur la « professionnalisation » de la formation. Selon lui, c’est « en enseignant qu’on apprend » et il dénonce la formation actuelle, trop « universitaire ». Il s’agit pour l’employeur de mieux contrôler les contenus de formation, dans la droite ligne des autres mesures à l’Éducation nationale. Le futur employeur joue un rôle de plus en plus grand dans les INSPÉ puisque au moins 33 % des formateurEs doivent être des personnels devant élèves dans le 1er ou 2nd degré. Avec la réforme, il y a de plus en plus d’injonctions ministérielles sur les cours en MEEF, avec bien sûr un nouveau module obligatoire sur la « laïcité ». C’est en fait la liberté pédagogique qui est dans la ligne de mire. Il s’agit de faire des futurs profs de simples exécutants des consignes venues d’en haut et non de véritables concepteurs de leurs enseignements.
Une nouvelle épreuve du concours incarne bien ce changement de paradigme. Ce n’est plus la maîtrise de la discipline qui est essentielle mais l’acceptation du discours ministériel. En effet est créé un nouvel oral qui s’apparente purement à un entretien d’embauche avec CV à valoriser. Dans le jury il y aura d’ailleurs des représentants des RH (ressources humaines), des chefs d’établissement. À cette occasion le jury devra « apprécier l’aptitude du candidat à […] s’approprier les valeurs de la République, dont la laïcité, et les exigences du service public (droits et obligations du fonctionnaire dont la neutralité » (JO du 25/01/2021), le tout en 35 minutes. On voit bien qu’on va vers une forme de recrutement normalisé valorisant l’obéissance au discours hiérarchique.
Maltraitance institutionnelle
Mais ce nouveau Master MEEF crée aussi un volant de main-d’œuvre ultra précaire. En M2, les étudiantEs devront soit faire un stage en responsabilité en prenant une classe à tiers temps, en étant contractuel, pour un salaire de 700 euros net/mois, soit effectuer l’équivalent de 12 semaines à temps plein de stage d’observation et pratique accompagnée (en assurant de l’aide aux devoirs, voire des remplacement) pour une « gratification » de 1 300 euros brut à l’année ! Tout en devant suivre leurs études de Master et préparer le concours… Jusqu’à présent, les fonctionnaires stagiaires, après le concours, faisaient un mi-temps d’enseignement durant leur M2 payé 1 500 euros net/mois.
Le ministère prétend que ces stages seraient formateurs, professionnalisants. En réalité, c’est le chaos total en cette rentrée. Les rectorats sont incapables de mettre les étudiantEs en stage correctement, les conventions et contrats ne sont même pas signés, les étudiantEs se retrouvent à deux dans la même classe. On est dans une maltraitance institutionnelle caractérisée. Il y a fort à parier que les démissions, de plus en plus nombreuses chez les stagiaires, explosent avec ce nouveau statut précaire.
On pourrait se dire, en voyant cela, que le ministère fait n’importe quoi. En fait il y a un objectif cohérent à tout cela. Le ministère veut casser le recrutement d’enseignantEs sous statut de fonctionnaire, avec leurs droits, leur liberté pédagogique, pour progressivement les remplacer par le recrutement de contractuelEs moins bien payés, qui seront bien plus « obéissants » puisque licenciables à tout moment. Comme à France Télécom, lors de la privatisation en 1990, deux statuts différents (fonctionnaires et contractuels) se côtoient. Le management par la pression a eu alors pour but de diminuer le nombre de fonctionnaires, avec comme contrepartie une souffrance énorme des collègues et une vague de suicides. On va, si on n’arrête pas le gouvernement par nos luttes, vers un management similaire dans l’Éducation nationale.