Les dirigeants et défenseurs de l’Europe capitaliste ne cachent pas leur inquiétude et surtout leur doute sur leur capacité à enrayer ce que leur politique a elle-même engendré.
La régression sociale propulse les courants souverainistes d’extrême droite qui dévoient le mécontentement populaire en flattant les préjugés xénophobes et racistes au nom de proclamations identitaires nationalistes.
Une construction au service des bourgeoisies
Il y a là la démonstration dramatique de l’incapacité des bourgeoisies européennes et de leurs États à construire l’Europe autrement que comme une vaste zone de libre-échange. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les premiers pas de l’Europe sous la houlette des USA, soucieux de relancer l’économie mondiale et de faire face à l’URSS, obéissaient aux besoins et volontés des bourgeoisies. Si sa construction put faire naître l’illusion qu’elle répondait à une démarche progressiste rompant avec des siècles de guerres et de rivalités absurdes, deux étapes clés vont mettre à nu sa vraie nature d’alliance entre brigands capitalistes : d’abord l’offensive libérale engagée après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, puis la banqueroute financière de 2007-2008 qui a accentué l’offensive tant sociale que militariste.
Huit ans plus tard, elle est devenue l’un des centres de la crise économique et politique en cours au niveau mondial du fait des failles de cette construction artificielle, zone de libre-échange pourvue depuis 2000 d’une monnaie unique sans réel pouvoir politique centralisé, espace de la concurrence inégale entre les différentes bourgeoisie et leurs États.
Contre l’Europe forteresse, bienvenue aux migrantEs !
La crise politique européenne se focalise sur le drame des migrantEs qui devient le point de fixation de toutes les peurs et les frustrations mises en scène par l’extrême droite. Cette dernière flatte l’égoïsme national en faisant semblant d’ignorer que les puissances de l’Union européenne portent une lourde responsabilité dans le drame que vivent les migrantEs contraints de fuir leur pays pour échapper à la guerre, à la misère, aux dictatures.
En prétendant résoudre la crise en fermant les frontières, en dressant des murs ou des barbelés, ces puissances engagent les peuples dans une impasse dramatique, les enfermant dans les frontières non pour les protéger de quoi que ce soit mais pour mieux les soumettre à leur pouvoir et celui des possédants.
Il n’y a de réponses que démocratiques : l’accueil des migrantEs, la liberté de circulation et d’installation.
La défense européenne = l’Europe de l’industrie d’armement
L’argent existe pour faire face : il suffit pour s’en rendre compte de mesurer le gaspillage du budget militaire de cette Europe qui devient de plus en plus une Europe de la guerre. Elle a anticipé les volontés des USA formulées par Trump de la voir prendre en charge le financement des dépenses militaires qu’exige la défense de la domination des USA et de leurs alliés.
Avec un budget annuel cumulé de 217,5 milliards d’euros pour les 28 États membres en 2015, l’Union européenne est au deuxième rang mondial des dépenses militaires. Autant de financements pour l’industrie européenne de l’armement qui bénéficie déjà largement de l’argent public sous différentes formes...
L’Europe du chômage et de la précarité
Depuis 2008, le chômage s’accroît dans toute l’Europe, parallèlement à l’augmentation du travail partiel et précaire. Entre 2008 et 2015, le nombre d’emplois à temps plein a baissé de 7,6 millions dans l’Union européenne. Un recul compensé à peu près pour moitié par une augmentation de 3,7 millions d’emplois à temps partiel... Dans le même temps, l’emploi masculin a reculé de 4,7 millions alors que l’emploi féminin a augmenté de 0,8 million : une progression largement conditionnée par celle du temps partiel (voir les travaux de Michel Husson).
L’impasse réformiste
L’austérité et l’offensive libérale visent à rétablir le taux de profit pour éviter une dévalorisation massive du capital, un krach. Elles ne font que retarder l’heure de solder les comptes. Il y a là une logique implacable, et il est bien dérisoire de vouloir convaincre les capitalistes qu’il existerait une autre politique répondant mieux à leurs intérêts. L’exemple de la Grèce et la faillite de Syriza et de Tsipras en sont la démonstration.
Face à l’Europe capitaliste, il n’y a d’issue ni dans le repli national ni dans la renégociation des traités et de la dette. C’est la logique même du profit, de la concurrence et du marché qu’il faut remettre en cause radicalement, donc l’Europe de la Banque centrale européenne, ses traités et ses institutions. La lutte contre l’austérité menée de façon conséquente pose la question du pouvoir des travailleurEs et de la population en vue de la construction d’une autre Europe fondée sur la coopération des peuples.
Yvan Lemaitre