L’« ubérisation » du travail se développe dans de nombreux pays d’Europe. Et avec elle, des statuts au rabais sont inventés pour donner l’illusion d’une protection accordée à des travailleurs précaires toujours plus nombreux.
À Bruxelles comme à Paris, les livreurEs à vélo des plateformes comme Foodora ou Tok Tok Tok sillonnent les rues avec leurs caissons de livraison sur le dos. Et en Belgique comme en France, ils ont un statut d’indépendant, les plateformes refusant de les reconnaître comme salariéEs en dépit de la forte dépendance qui les lie à elles, les livreurEs ne pouvant travailler que pour une seule entreprise à la fois. Dans les deux pays, une question majeure se pose : comment assurer à ces travailleurs précaires un minimum de droits en cas d’accident, de maladie, etc. ?
Coopératives ou syndicats ?
En France, la loi travail a donné raison aux plateformes en créant un statut d’indépendant avec des droits au rabais par rapport aux salariéEs (voir article ci-contre). En Belgique, le statut d’auto-entrepreneur n’existant pas, c’est une autre voie, tout aussi insatisfaisante, qui a été choisie : une entreprise coopérative, SmartBe, a signé en avril dernier un accord commercial avec Deliveroo et Take Eat Easy pour accorder quelques droits aux livreurs. Ceux-ci peuvent donc adhérer à la coopérative dont ils deviennent salariés, celle-ci jouant en échange le rôle d’une sorte de syndicat négociant avec les plateformes quelques avantages pour les travailleurEs... L’accord entre la coopérative et les plateformes prévoit la mise en place d’une formation sécurité, la prise en charge des frais liés à l’utilisation d’un vélo personnel et d’un téléphone portable ainsi qu’un droit à une rémunération de trois heures minimum par jour de travail même sans commandes.
Premier problème : avec ce type d’accord commercial, les plateformes peuvent continuer d’exploiter impunément des travailleurEs précaires sans avoir à assumer les responsabilités et à respecter les obligations incombant à un employeur. Deuxième problème : tous les livreurEs à vélo ne bénéficient pas de cet accord, mais seulement ceux travaillant avec les plateformes avec qui il a été passé. Cela contribue donc à isoler les travailleurEs les uns des autres et à les mettre en concurrence là où seule l’union de tous les précaires des secteurs ubérisés permettraient d’instaurer un rapport de forces qui leur serait favorable.
Statut au rabais
Autre exemple du développement de statuts au rabais pour les travailleurEs des plateformes numériques : le « Trade » en Espagne. Il s’agit d’un statut réservé aux « travailleurs autonomes dépendants économiquement » créé dès 2007 dans un contexte de précarisation des travailleurEs et à la base destiné au secteur des transports. Il s’est ensuite étendu au secteur de l’« économie collaborative ».
Ce statut permet d’avoir un remplaçant en cas d’interruption de travail pour la naissance d’un enfant (sans risquer donc de perdre son contrat avec la plateforme) ou de prendre 18 jours de vacances par an (sans pour autant qu’il s’agisse de congés payés par la plateforme, c’est une simple autorisation d’absence sans solde !). Les « Trade » ont également des obligations de cotisations pour maladie et accident du travail, celles-ci n’étant versées que par les travailleurEs, avec des niveaux de prise en charge très bas par rapport à ceux des salariéEs.
En clair, comme en France, l’État espagnol a donc créé un statut rabais pour légaliser et faciliter l’exploitation de ces faux indépendants par les plateformes riches à millions.
Côté travailleurs, l’« ubérisation » signifie donc bien, partout en Europe, la réapparition du travail à la tâche, pseudo-indépendant et vraiment précaire. Elle remet en cause des décennies de luttes collectives ayant permis d’obtenir des droits pour touTEs.
Coline (Comité inspection du travail Île-de-France)