Depuis le 1er février, le mouvement parti de Seine-Saint-Denis s’est étendu. Les grévistes s’opposent aux suppressions de postes, aux conditions de travail et d’enseignement qui se dégradent, à la réforme absurde de la formation des enseignants et au développement de la précarité, ainsi qu’à toutes les réformes qui depuis plusieurs années contribuent à démanteler le service public d’éducation. Des revendications légitimes qui nourrissent leur détermination.
Chronique d’une grève au lycée Henri Wallon
Rue des Cités à Aubervilliers : la cité scolaire Henri-Wallon coule des jours paisibles ou presque sous la neige. Puis tout a basculé un jeudi 28 janvier à l’assemblée générale des personnels. Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? C’est la conscience que la casse du service public d’éducation est en train de s’accélérer qui les fait réagir. Comme ils l’écriront dans leur premier tract, distribué pendant la manifestation du samedi : « Nous avons décidé la grève, car si l’on ne sait pas quelle en sera l’issue, nous savons quelle sera l’issue d’un combat que nous n’aurons pas mené. » Pour eux, ce n’est plus tant une question syndicale ou même politique, c’est une question de conscience. Ils ne veulent pas se résigner ; ils veulent rentrer en résistance.
La grève « illimitée » est de nouveau votée par la très grande majorité des présents à l’AG du lundi 1er février. Pendant deux semaines, la salle des profs fourmille de bruits et d’activités ; différentes commissions s’organisent : lettre aux parents ; tract d’appel à la grève ; contacts presse ; communiqués ; organisation de réunions d’information ; contacts FCPE ; contacts avec les autres établissements ; confection de banderoles ; rédaction de slogans et de chansons. Un premier rendez-vous est donné le jeudi suivant devant la mairie d’Aubervilliers. Pendant trois jours, les grévistes, toujours plus nombreux, sillonnent infatigablement le secteur : très tôt le matin à l’entrée des écoles, arpentant les AG et les salles des profs pour convaincre leurs collègues de se mettre en grève, tard le soir dans les AG de ville, de secteurs ou les réunions d’information.
Le jeudi, le pari est réussi : près de 200 personnes sont réunies devant la mairie d’Aubervilliers. Le virus de la grève se répand vite et 650 manifestants environ défilent dans les rues de Saint-Denis le mardi 9 février. L’appel des syndicats à une manifestation jusqu’au ministère le jeudi 11 conforte le mouvement et rassure les collègues encore hésitants : nombreux sont ceux qui rejoignent la manifestation. Même après la reprise du travail, les grévistes d’Henri-Wallon continuent d’œuvrer à l’extension et à l’organisation du mouvement en s’appuyant sur les deux journées d’appel des mardi 16 et jeudi 18 février. Ils sont 50 % en grève ce jour-là. En attendant les jours meilleurs et le retour des vacances, ils rêvent que le mouvement s’étende à toutes les académies. Ils rêvent d’une G-rêve générale où ils pourront gagner. En attendant, il faut tout donner, rien lâcher !
Paroles de grévistes
Ces propos ont été recueillis lors de la manifestation du 18 février, du Luxembourg au ministère, qui a rassemblé près de 5 000 manifestants.
Rim (élève de seconde, 93)
On est un peu grévistes tout de même puisqu’on ne va pas en cours. Pour nous, participer au mouvement, c’est refuser l’apprentissage dans ces conditions, celles qu’on nous prépare à la rentrée. On dirait qu’ils veulent notre échec. Plus d’élèves dans les classes, ça va être de la folie ! Déjà à 25, on a du mal… Si c’est aller en cours et « foutre le bordel », on peut le faire chez nous (rire) ! Beaucoup d’élèves pensent que tout ça, ça sert à rien ; ils se découragent trop vite. Manifester, c’est montrer qu’on est nombreux ! Pour moi, une bonne réforme, ce serait : plus de postes, ne pas « dévaloriser » certains établissements, encourager davantage les élèves, ne pas choisir à leur place.
Marie (prof de collège dans le 93)
Un bouche à oreille s’est tissé sur la ville entre primaire et secondaire ; des équipes de collègues sont passées dans les salles des maîtres et les salles des profs et ça a fait tâche d’huile. Pourquoi se mobiliser ? On est en train de créer une génération d’enfants sacrifiés : avec la fermeture des postes, la multiplication des contrats précaires, on est en train de supprimer l‘accès à l’éducation aux enfants de Seine-Saint-Denis.
La force de ce mouvement, ce qui est inédit, c’est que ça dépasse les organisations syndicales ; c’est le bouche à oreille et l’enthousiasme qui a motivé les collègues. Ça apporte un peu de fraîcheur. Les grèves « perlées » de ces dernières années se sont toujours soldées par des échecs ; on n’était pas beaucoup motivés ces derniers temps ; là c’est différent. Bien sûr, on réfléchit à un système de grève tournante, car ce n’est pas évident de se mettre tous en grève reconductible.
La fragilité du mouvement c’est les vacances ; on espère pouvoir passer le relais à d’autres académies. Pour nous c’est une cause nationale : l’Éducation nationale est en train de se casser la figure et on veut se battre tous ensemble pour sauver l’école publique.
Joan (prof de lycée à Paris)
Les collègues tardent chez nous à se mobiliser ; on espère que ça partira au mois de mars. Il faut dire qu’on a eu l’impression que c’était centré au départ sur le 93 et il y eu chez certains confusion avec les problèmes de violence. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est la réforme des lycées qui m’a fait entrer dans la grève. L’originalité de ce mouvement et sa force, c’est que ça part de la base ; les syndicats sont amenés à suivre. Pour que ça marche, il faut que ça reparte des académies de province et il ne faut pas que les syndicats étouffent les mouvements spontanés, partis de la base, notamment à l’approche du bac. Et il faudrait que, cette fois-ci, on arrive à tenir…
Nina (prof des écoles à Paris)
Il n’y avait quasiment pas d’instits en grève sur Paris aujourd’hui. La FSU 75 n’a pas appelé… Mais il n’y pas non plus de mobilisations dans les écoles qui pousseraient à appeler à la grève. Dans le 93, par contre, où le SNUIPP avait appelé, il a eu aujourd’hui 20 à 30 % de grévistes dans les écoles.
Comment raccrocher le primaire ? Non aux suppressions de postes, à la dégradation des conditions de travail, à la loi de mobilité, à la « masterisation », non à la précarité, ça pourrait être unifiant.
Rémi (prof de lycée dans le 93)
Ce qui mobilise, c’est autant le fond que la forme. Le gouvernement entreprend depuis plusieurs années maintenant une casse systématique du service public d’éducation, de la maternelle qu’il veut faire disparaître jusqu’à l’université qu’il veut privatiser. Entre les deux : l’aide personnalisée et la suppression des Rased en primaire, le tronc commun en collège, le bac professionnel en trois ans en LEP et la réforme des lycées, tout ça pour accompagner la suppression de 80 000 postes… plus les 16 500 de la rentrée prochaine. Ça c’est pour le fond. Mais les formes de la mobilisation comptent aussi beaucoup : les équipes de grévistes qui se sont déplacées dans les établissements ont beaucoup fait pour l’extension du mouvement. Le fait qu’il y ait un plan d’action ; que les journées de grève ne soient pas sans lendemain, ça a donné du courage aux collègues, ça leur a donné envie d’espérer et de se battre, même si la victoire est incertaine…
Adélaïde (élève de seconde, 93)
Dans une manif, on est tous ensemble, alors que lors des blocus on est un peu chacun dans notre coin… Quant au mouvement, qui ne tente rien, n’a rien ! Oui le mouvement peut gagner : il ne faut pas se décourager !
Propos recueillis par Anne Lafran.