Le 14 septembre, Le Figaro et son chroniqueur Yann Moix seront assignés pour injures par les cinémas Utopia devant la 17e chambre correctionnelle. Les organisateurs d’Utopia n’acceptent pas de se faire traiter d’antisémites. Nous avons interrogé Anne-Marie Faucon, cofondatrice des cinémas Utopia.Peux-tu nous présenter cette affaire à épisodes ?Yann Moix, chroniqueur au Figaro, cinéaste et écrivain qui doit sa notoriété à Bernard-Henri Levy, passe à Avignon en août 2009 et tombe sur la Gazette d’Utopia, petits cinémas d’art et essai farouchement indépendants et non subventionnés. Lisant le commentaire du film Le temps qu’il reste, il réagit très violemment, à l’ahurissement des utopiens présents. Le texte – accessible sur notre site – n’avait choqué personne, ni les réalisateurs en débat, ni les associations, ni les festivaliers et nous avons donc été sidérés par la violence du texte, titré « Une utopie pourrie », paru dans Le Figaro du 22 août. Pour avoir écrit « milice juive » et « lobotomisation sioniste » à propos de l’enseignement prodigué dans les écoles au moment où Elias Suleiman situe le début de son film (1947-1949), les équipes d’Utopia, entre quelques insultes plus folkloriques, deviennent les « Brazillach d’aujourd’hui » décidés à en finir avec « tout ce qui est juif dans l’économie du monde » ce qui, répercuté sur le site du Crif est devenu « en finir avec tout ce qui est juif dans le monde ». L’outrance et la bêtise de cet article sont telles qu’on aurait pu s’en tenir là. Mais nous avons réalisé très vite que, n’ayant pas eu accès à la Gazette d’Utopia, les lecteurs du Figaro pouvaient imaginer des choses terribles. Pour preuve, l’Association culturelle juive des Alpilles, dont les membres sont venus à Utopia tout l’été sans être le moins du monde choqués par le texte de la Gazette, en lisant l’œuvre de Moix, s’est mise en tête d’attaquer Utopia en justice pour « antisémitisme et incitation à la haine raciale ». Les cinq salles Utopia ont alors décidé de faire un procès à Yann Moix et au Figaro. Le procès avignonnais a eu lieu en février, l’association a été déboutée et Utopia relaxée pour des raisons de forme. Le procès du 14 septembre contre Moix et le Figaro va permettre d’aborder le fond.Quels sont les thèmes privilégiés abordés par les salles Utopia ?Pour Utopia, le cinéma d’opinion est avant tout un instrument de connaissance, de réflexion, de confrontation d’idées, une ouverture formidable sur tout ce qui vit, bouge, du plus loin au plus près. D’où une multitude de rencontres et débats : du tribunal de Toulouse, avec lequel un programme régulier est prévu, à toutes les associations qui tentent de rendre ce monde plus supportable, comme les Frères franciscains, les associations d’accompagnement aux mourants, les passionnés de psy. Les manifestations prévues les 4 et 7 septembre sont représentatives des groupes avec lesquels on peut débattre à Utopia. Il n’y a pas une semaine où n’aient lieu au moins deux ou trois soirées. Depuis quelques années, les débats sur le conflit israélo-palestinien et sur son histoire n’ont pas manqué, souvent organisés avec un de nos interlocuteurs privilégiés sur cette question, l’Union juive française pour la paix (UJFP).
Ressentez-vous aujourd’hui une plus grande difficulté à aborder le Proche-Orient ?Depuis toujours, Utopia a programmé des films israéliens et palestiniens. Mais, depuis 2000, nous sentons la parole se faire moins libre à cause de pressions lors de la programmation de films et de l’organisation de débats. Cela n’arrive pas seulement à Utopia mais à d’autres un peu partout en France : déprogrammation d’une semaine palestinienne à Montreuil, pressions sur les mairies programmant le spectacle d’adolescents du Théâtre de la liberté de Jenine – à Cenon (Gironde), la chose a abouti avec succès pour la troupe devant le tribunal administratif, à Vaulx-en-Velin (Rhône), c’est le maire qui a refusé de déprogrammer le spectacle –, décrochage d’une exposition d’Amnesty International par la mairie de Tournefeuille (Haute-Garonne), pression sur les studios de Tours, sur le Diagonal à Montpellier, etc. Tout cela alimente le sentiment qu’une sournoise stratégie du « faire taire » s’est mise en place, relayée par quelques médias bien en main qui usent et abusent de l’argument d’antisémitisme pour museler toute parole non conforme à une sorte de discours officiel venu d’Israël et relayé par ses « ambassadeurs » locaux. Si l’on ajoute à cela le sentiment que toutes les communautés ne sont pas traitées avec la même indulgence, on voit bien que les choses risquent de ne pas aller dans le sens d’un apaisement des esprits. Raison de plus, comme l’aurait dit l’ami Daniel Bensaïd, pour résister à l’air du temps ! Propos recueillis par André Rosevègue