Lors des élections régionales de 2010, toute la gauche d’Île-de-France avait déclaré s’opposer au projet deGrand Paris voulu par Sarkozy – et avait engrangé des votes sur cette base. Le 26 janvier 2011, au cours d’une conférence de presse conjointe, le président PS de la région Île-de-France, Jean-Paul Huchon, et le ministre de la Ville, Maurice Leroy, ont cependant annoncé que le différend était résolu, que majorité régionale de gauche et gouvernement de droite défendaient désormais un seul et même projet. Que s’est-il passé ?
Comme nous l’écrivions ici en janvier 2010, le projet de Sarkozy, avec sa rocade de métro automatique « Grand Huit » au coût faramineux de 20,5 milliards d’euros, « vise à transformer la région en structure au service des entreprises, à faire entrer la capitale dans la mondialisation capitaliste, sans que l’intérêt des Franciliens soit pris en compte. » Le même article signalait aussi que « si le PS critique ce projet, il y a bien sûr derrière des enjeux de pouvoir importants alors qu’il dirige la région et la capitale. Pourtant le SDRIF (schéma directeur de la région Île-de-France) élaboré par la gauche au conseil régional fait la part belle aux pôles de compétitivité, prévoit de développer les bureaux et définit son propre projet de transports ultrarapides pour cadres friqués. Il vise aussi à faire de Paris une ‘‘ville-monde’’ en pointe dans la grande concurrence de la mondialisation. »
Autrement dit, il y avait sans doute désaccord mais certainement pas incompatibilité. Il n’est donc pas si étonnant que le « Grand Paris » de Sarkozy ait finalement fusionné avec l’« Arc Express » proposé par la gauche, dans ce « Grand Paris Express » objet de toutes les congratulations, loué de droite et de gauche comme un « accord historique ». En réalité, il s’agit d’abord de la reprise et de la validation par la gauche du projet sarkozyste.
D’une part, le tracé du Grand Huit destiné à relier à grande vitesse les centres financiers, « pôles d’excellence » économiques, aéroports et grandes gares n’a été que très peu modifié. La seule concession faite à la majorité régionale est le dédoublement de la boucle prévue dans l’est parisien, entre une première rocade remontant jusqu’aux aéroports du Bourget et de Roissy et une seconde, plus proche du centre, qui devrait permettre de désenclaver une série de communes denses. Pour le reste, c’est-à-dire partout ailleurs en Île-de-France, les besoins des populations attendront. Valérie Pécresse souligne à juste titre que « le tracé final reprend à 90 % celui initialement proposé par le gouvernement. » « Il suffit de comparer les cartes » ajoute, cruel, le Nouveau Centre qui juge « funambulesque » l’attitude de Jean-Paul Huchon, auquel il a fallu « concilier l’inconciliable, c’est-à-dire la posture politique qu’il adoptait […] et le pragmatisme qu’il pratiquait, par ailleurs et en même temps, dans ses discussions avec le gouvernement. »
D’autre part, le PS et sa majorité régionale ont par cet accord entériné la loi du 3 juin 2010 créant la Société du Grand Paris, émanation directe de la droite gouvernementale et des milieux d’affaires, chargée de piloter l’ensemble du projet. Ce faisant, ils ont accepté que le conseil régional d’Île-de-France se trouve de fait dépouillé de ses prérogatives d’aménagement du territoire, et notamment placé dans l’incapacité d’agir de quelque façon que ce soit face à la vague de spéculation immobilière que le Grand Paris générera autour des sites choisis. De même acceptent-ils que le STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France), formé par les collectivités territoriales de la région, perde la maîtrise de la politique régionale des transports, toujours au profit de la Société du Grand Paris.
Tous les groupes de gauche au conseil régional n’ont certes pas approuvé l’accord Huchon-Leroy. Il a été combattu, assez timidement, par Les Verts-Europe Écologie, et de façon plus ferme par les cinq conseillers régionaux du groupe du Parti de gauche et des Alternatifs – sans que le PG n’en fasse pour autant un quelconque casus belli ni même ne relaie outre mesure, au niveau national, la dénonciation juste faite par ses élus régionaux. La prise de position du groupe des élus régionaux « Front de gauche – Parti communiste français, Gauche unitaire et Alternative citoyenne » n’en est que plus significative et frappante. S’alignant totalement sur le PS francilien, il a salué l’annonce de Grand Paris Express comme une « première grande victoire », « un pas qui est franchi vers un projet historique pour l’Île-de-France », un « investissement massif en banlieue » dont il faut « se féliciter qu’il devienne enfin réalité » !
Comment ne pas y voir une anticipation de ce qui se passera sans doute demain, à l’échelle du pays, en cas de victoire électorale de la gauche ?
Jean-Philippe Divès
- Le Grand Paris, enjeu national pour la droite, Sylvain Pattieu, Tout est à nous ! La Revue n° 7.