Adolfo Kaminsky s’est éteint le 9 janvier dernier à l’âge de 97 ans. Il a caché la moitié de sa vie. Né en 1925 à Buenos Aires, il s’installe à Paris alors qu’il a 7 ans et grandit dans une famille juive russe très pauvre.
Il commence à travailler à 12 ans et demi. À 14 ans il est embauché dans une teinturerie… Là, il dit avoir découvert la magie de la couleur. Il devient au fil du temps un expert en chimie. Il monte son premier laboratoire pour faire des expériences sur les matières colorantes. Après l’occupation allemande en 1940, la famille Kaminsky est déportée à Drancy mais grâce à la nationalité argentine des membres de la famille, elle est libérée au bout de trois mois.
Sauver des milliers d’enfants de la déportation
Adolfo entre dans la clandestinité et intègre la résistance pour obtenir, pour lui-même, son premier faux papier. Son expertise en décoloration des encres l’amène à prendre la tête d’un laboratoire clandestin de fabrication de faux documents (passeports, cartes d’alimentation...).
Il change toutes les méthodes de travail. Il met en place la photo, la photogravure, l’imprimerie... Ce n’est que du bricolage. Adolfo explique avoir fait une centrifugeuse avec une roue de bicyclette. C’est un matériel très sophistiqué et très efficace avec rien du tout, « Le bricolage intelligent », explique-t-il.
Une commande importante lui est faite pour fournir une grande quantité de faux papiers destinés à sauver les enfants de plusieurs maisons d’enfants juifs. Il ne dort pas pendant trois jours, tombe plusieurs fois d’inanition et est réanimé par ses camarades. Il reste éveillé, refuse de dormir. S’il arrive à remplir 30 faux papiers en une heure mais qu’il dort une heure, il y aura 30 faux papiers en moins et donc 30 enfants condamnés le jour de la rafle. Impossible pour Kaminsky ! Un de ses yeux en a été détruit. Il expliquait en toute humilité que c’était le prix pour sauver beaucoup de gens. Des milliers.
Après la résistance Adolfo vit de la photographie. Il fait des reproductions de tableaux, de peintures pour des catalogues, pour des galeries. Il est payé pour ce travail, ce qui lui a toujours permis de refuser d’être payé pour les faux papiers qu’il confectionnait. « Pour ne pas être dépendant et ne pas être obligé de faire des choses pour lesquelles je n’étais pas d’accord ». Car son travail de faussaire ne s’est pas arrêté avec la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Faussaire principal de la lutte contre le colonialisme
Il fabrique ensuite des faux documents destinés à l’immigration clandestine juive vers la Palestine sous mandat britannique. Il refuse d’aller s’installer en Israël qui se constitue avec une religion d’État. Il coupe complètement ses relations avec cet État. Il pense arrêter ses activités de faussaire mais la guerre d’Algérie commence et il fournit de nombreux faux papiers aux combattantEs du FLN après avoir constaté que le « pays des droits de l’homme » utilise les méthodes de la Gestapo.
Il devient le faussaire principal de la lutte contre le colonialisme. Il fabrique les faux papiers des cinq seules évadées de la prison pour femmes de la Roquette à Paris, cinq combattantes du FLN qui étaient dans le réseau Jeanson, autrement appelé « Les Porteurs de valise ».
Après la guerre d’Algérie, il se met au service de tous les mouvements de libération d’Afrique. Il fait des faux papiers pour les combattantEs de l’ANC d’Afrique du Sud, puis pour les militantEs des pays d’Amérique latine en lutte contre les dictature, pour des déserteurs américains qui veulent échapper à la guerre du Vietnam. Il aide des républicains espagnols, grecs. Toutes celles et ceux qui combattent pour la justice, le progrès social et contre toutes les oppressions. Il refuse d’être payé pour pouvoir dire non.
Il échappe à toutes les polices grâce à son extrême rigueur en matière de sécurité, rigueur héritée de ses années de la clandestinité durant la Seconde Guerre mondiale. Un très grand monsieur vient de disparaître. On peut en apprendre davantage dans le livre écrit par sa fille Sarah qui se lit comme un roman d’aventure. Tous les faits relatés sont parfaitement réels.
Une vie de faussaire, de Sarah Kaminsky, Le Livre de poche, 2018, 264 pages.