Scénario de Hervé Bourhis et dessin de Christian Cailleaux, Dupuis, Aire libre, 2017, 32 euros.
Dans Jacques Prévert n’est pas un poète, publié à l’occasion du 40e anniversaire de sa mort, Hervé Bourhis et Christian Cailleaux nous font partager la révolte, les combats et les rencontres, les amitiés et les amours de ce « braconnier révolutionnaire ».
Cette belle bande dessinée nous plonge des années 1920 aux années 1960 dans la vie bouillonnante et les engagements de ce cinéaste et poète antimilitariste, anticlérical. C’est une ode au combat contre la bêtise, la suffisance, la soumission, le nationalisme… Prévert est du côté et au service de ceux qui luttent, refusent l’ordre établi, contre ceux qu’il dénonce et ridiculise dans Tentative de description d’un dîner de têtes, « Ceux qui pieusement... Ceux qui copieusement... Ceux qui tricolorent, Ceux qui inaugurent, Ceux qui croient, Ceux qui croient croire, […] Ceux qui chantent en mesure, Ceux qui brossent à reluire, […] Ceux qui bénissent les meutes, Ceux qui font les honneurs du pied, Ceux qui debout les morts, Ceux qui mamellent de la France… ».
Bourhis et Cailleaux nous font rencontrer Prévert en 1921 à Constantinople où, alors caporal, il résiste à sa façon au côté de Marcel Duhamel. De retour à Paris, ils participent un temps au mouvement surréaliste au côté de son frère et complice Pierre, d’Yves Tanguy rencontré pendant le service militaire, de Breton et de bien d’autres.
Au début des années 1930, Prévert rejoint le groupe Octobre, troupe de théâtre ouvrier pour qui il va écrire jusqu’en 1936. Le groupe joue dans les quartiers populaires, devant les usines … voire à l’intérieur, comme lors de la grève à Citroën en 1933 : « Citroën, C’est le nom d’un petit homme, Un petit homme avec des chiffres dans la tête, Un petit homme avec un sale regard derrière son lorgnon, Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson, Toujours la même. Bénéfices nets… Millions… Millions… Une chanson avec des chiffres qui tournent en rond, 500 voitures, 600 voitures par jour. […] Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches, Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup, Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer, Pour faire la grève… La grève… Vive la grève ! »
« Elle est rouge la vie »
La même année, Prévert sera du voyage à Moscou où la troupe est invitée dans le cadre des Olympiades du Théâtre ouvrier, ils jouent devant Staline, mais troublés par ce qu’ils voient, ils refusent de signer le « satisfecit à la politique de Staline » qu’on leur soumet sur le quai du départ.
En 1936, la troupe « d’agit-prop » participe aux meetings, à l’animation des grèves… et met en garde contre le Front populaire, comme dans le texte Printemps-été 1936 : « De sa fenêtre, le capital voit ses usines occupées, Par les hommes des taudis, Il voit les drapeaux rouges flotter. Et le tricolore aussi…Mais les drapeaux tricolores, c’est pas ça qui lui fait peur. C’est son affaire… il en a tellement vendu, avant, pendant, après la guerre. […] Le tricolore au bout d’une perche, Le tricolore à la boutonnière, Le tricolore à la braguette, Comme ils sont beaux à voir, le tricolore en suspensoir. […] Méfiez-vous…, Il est dur, rusé, sournois… le capital. […] Méfiez-vous camarades, La vie n’est pas tellement rose, Elle n’est pas tricolore non plus, elle est rouge la vie... »
La suite de la vie et des combats de Prévert, ses nombreux films, ses compagnes et compagnons de route, sont croqués au fil des pages de la BD dans lesquelles on plonge avec un très grand plaisir, jusqu’à ce mot « fin » précédé de l’avertissement « Vous voyez, je ne suis pas mort. Et je ne suis pas un poète »…
On ne peut que vivement conseiller de se faire prêter ou offrir cette BD et, surtout, de se plonger ou replonger dans les textes de Prévert !
Isabelle Ufferte