Éditions du Seuil, 672 pages, 22 euros.
Bleu de Prusse est en théorie l’ultime roman de l’auteur, décédé en mars 2018, et la dernière aventure de Bernie Gunther (voir l’Anticapitaliste du 5 avril). Mais il semblerait que d’autres manuscrits aient été terminés, selon l’éditeur. Souhaitons qu’ils soient d’une qualité au moins égale à ce Bleu de Prusse qui vous tiendra scotché tout au long de ses 652 pages.
De la SS à la Stasi
1939 et 1956 : Bernie Gunther, ex-flic de la république de Weimar et du troisième Reich sauve, par deux fois, sa peau in extremis à Homburg, petite ville de Sarre bénéficiant de grottes et tunnels à multiples accès. Philip Kerr, l’auteur écossais de ce polar à double intrigue ne pensait certes pas au tube « Homburg » de Procol Harum en choisissant cette ville mais à sa situation frontalière propice à toutes les fuites et disparitions pendant les terribles années 1930-1940.
Inutile d’avoir lu les 3 romans de la Trilogie berlinoise pour aborder ces nouvelles aventures du flic berlinois. Bernie Gunther est un ancien policier social-démocrate, contraint à la démission par l’arrivée au pouvoir des nazis. Ses talents d’enquêteur intéressent cependant les nazis, qui l’obligent à travailler pour le régime avec promotion à la clé. Dès lors, il reçoit des ordres de personnages aussi « sympathiques » que Heydrich, Goebbels ou Himmler, et doit endosser l’uniforme avec les conséquences qui iront avec à la Libération.
Bleu de Prusse est assez retors pour mettre en exergue une partie des mêmes personnages en 1939 et 1956. Ils ont seulement un uniforme différent. De la SS à la Stasi, toujours la même absence de scrupules ou de sens moral minimum !
Une cavale héroïque
En 1939, c’est Heydrich qui envoie Bernie dans le « nid d’aigle » du Führer avec mission d’élucider, en moins d’une semaine, un assassinat perpétré au sein même du Berghof. Il lui demande de ramener au passage quelques preuves malodorantes contre Bormann, grand maître du lieu qui est, selon Heydrich, trop apprécié du Führer.
En 1956, c’est le général Mielke, chef de la Stasi, qui ordonne à Bernie de quitter son refuge du Cap Ferrat pour aller exécuter en Angleterre une agente double à l’aide d’une substance qui deviendra plus connue sous le nom de Polonium. De Nice à Homburg, sa cavale héroïque sera semée d’embuches dressées par ses ex-collègues allemands qui trouvent des complicités nombreuses en France.
La description des malversations et de la corruption généralisée régnant à tous les niveaux du troisième Reich ainsi que le système de rivalités mis en place dans son état-major par le Führer vaut tous les manuels d’histoire avec le « sel » (il faut lire le livre pour comprendre l’importance du mot) d’une intrigue tirée au cordeau et menée à un rythme d’enfer grâce au soutien de la méthamphétamine (pervitine), la drogue des SS.
Incontestablement du lourd que ce Bleu de Prusse qui n’est pas qu’un bleu profond !
Sylvain Chardon