De Robert Guédiguian. Le dernier film de Robert Guédiguian. L’Estaque. La Méditerranée. Sa troupe historique. Ils et elles sont touTEs là : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet.
Une famille, le père qui a une attaque et qui a perdu presque toute conscience. Les enfants qui se rassemblent autour de lui et, bien sûr, avec eux les souvenirs, les causes des départs, les conflits du passé, les émotions et les rêves, et la maison : qu’est ce qu’on va en faire ?
Un film attachant
Les films de Guédiguian sont toujours attendus comme des moments importants mais, en ce qui concerne les derniers de la série Marius et Jeannette, et particulièrement les Neiges du Kilimandjaro, laissaient un sentiment de malaise ou d’exaspération du fait du point de vue choisi. C’est celui d’une couche sociale issue de la classe ouvrière, constituée de ses militants politiques et syndicaux autour du PC, qui de fait a failli dans ses objectifs depuis les cinquante dernières années, de mai 1968 en passant par la chute du mur de Berlin jusqu’à l’effondrement de la gauche avec sa participation aux gouvernements, qui ne comprend plus la société, la jeunesse, la nouvelle donne imposée par la mondialisation capitaliste.
Cette fois-ci pas de malaise. Ce film est attachant. Les vieux ont lâché prise. Ils ont perdu la main face à une nouvelle génération qui arrive. Il y a une tendresse vis-à-vis de ces personnages qui ne tiennent plus de discours, ou si peu, sur la lutte des classes. Il n’y a plus de perspectives politiques. Il n’y a plus que la défaite de cette génération qui ne sait plus à quoi croire, qui garde des idéaux de solidarité minimaux – face à des enfants migrants qui ne se solidariserait pas ? – mais ça ne va plus loin. Les jeunes n’ouvrent pas de perspectives politiques, ils sont raccord avec le monde et regardent avec tendresse la génération passée sans prendre le relai.
Le « Ken Loach français » ?
Il ya quelque chose de désespéré dans le point de vue de Guédiguian, de découragé, au sens politique du terme. Dans une émission sur France Inter le jour de la sortie du film, Régis Debray (un expert) déclarait que Guédiguian était le « Ken Loach français ». Rien de plus faux (ou rien de plus vrai en insistant sur le mot « français ») tant le point de vue est radicalement différent. Ken Loach se situe dans le prolétariat réel, et n’a pas un point de vue désespéré. Il constate les reculs, les faiblesses, mais il se situe toujours dans la perspective de l’émancipation. Guédiguian a un point de vue beaucoup plus limité, celui de cette couche sociale qui a subi les défaites, qui y a contribué, et qui n’a plus de prétention à changer le monde.
Une chance pour le cinéma : Guédiguian se met à un niveau d’humanité plus large parce qu’il a baissé sa garde. Par l’attention porté à ses personnages, ses acteurEs de toujours, il donne à voir leur intimité, leur fragilité, leurs faiblesses. Leur jeu est naturel et Ariane Ascaride rayonnante. C’est le meilleur du film avec en point d’orgue une séquence reprise d’un de ses films tourné en 1986, Ki Lo Sa, avec les mêmes acteurEs, sur le même lieu, mais trente ans plus tard. À voir et à discuter.
Jean-Marc Bourquin