Éditions La Dispute, 2024, 184 pages, 15 euros.
C’est un livre d’entretiens dont le propos gagne en fluidité, propre aux échanges vivants, alors même que notre camarade Daniel Tanuro y aborde des questions parfois complexes sur deux aspects, aussi indispensables l’un que l’autre : penser les catastrophes et réfléchir à ce qu’on peut faire.
Le temps des catastrophes
Penser les catastrophes, c’est d’abord en prendre la mesure. Aucun doute possible, notre temps est celui des catastrophes qui s’aggravent mutuellement et qui peuvent faire basculer le système-Terre dans le cataclysme. Il est dès lors impératif d’agir dans deux directions complémentaires : s’en prendre résolument aux causes et mettre en œuvre une adaptation démocratique, sociale et écologique. Scientifique lui-même, Daniel Tanuro nous invite à prendre au sérieux les travaux des chercheurEs, en particulier celleux du GIEC et à débusquer les pressions politiques du capitalisme fossile qui se traduisent par l’objectif de réduction des émissions nettes et non de l’élimination de l’usage des combustibles fossiles.
Face à ce tour de passe-passe, qui ne sert qu’à s’affranchir de la nécessité de rompre avec la croissance capitaliste, des voix critiques se lèvent. Elles rendent possibles des alliances, des métissages entre savoirs scientifiques et savoirs populaires, qu’ils soient ouvriers ou indigènes, indispensables à la construction d’une écologie populaire de masse.
L’écologie inachevée de Marx
Avec le même esprit critique, Daniel Tanuro aborde sans concession les rapports entre le marxisme et l’écologie. Tout en pointant le productivisme de la majorité des auteurs marxistes du 20e siècle, y compris Trotski, il défend la critique marxienne de l’économie politique comme la plus pertinente pour comprendre la catastrophe écologique et fournir une explication matérialiste de la nature « croissanciste » du capitalisme. Il nous invite à parcourir le chemin effectué par Marx lui-même et souligne en particulier l’actualité de son analyse du « hiatus irrémédiable » dans le « métabolisme » entre l’humanité et la nature. Cependant, il refuse les lectures apologétiques qui repeignent Marx en vert et préfère interpréter le caractère inachevé de l’écologie de Marx comme une invitation à aborder d’autres champs. C’est ainsi qu’il plaide pour une compréhension féministe matérialiste de la domination patriarcale sur les femmes dans le capitalisme et partant de leur place dans les luttes écosociales.
Que faire ? Répondre à cette interrogation impose de mesurer combien le capitalisme est incapable, ne serait-ce que de freiner la catastrophe. C’est ce que fait Daniel Tanuro en montrant comment les renouvelables dans le cadre d’un greenwashing systémique ne visent pas à réduire les énergies fossiles mais à satisfaire la boulimie croissante du productivisme capitaliste, associant néo-industrialisme, extractivisme et pillage accru des pays dominés, ainsi que l’exacerbation de la concurrence entre puissances impérialistes.
Élaborer un programme social et environnemental
Face aux difficultés immenses de l’alternative et parce que les solutions sont politiques, l’auteur invite à se concentrer sur l’élaboration d’un programme social et environnemental, sur l’invention d’une stratégie et sur la mise au point de tactiques de lutte. Parce que l’arrêt de la catastrophe n’est possible qu’à la condition de sortir du capitalisme pour produire des valeurs d’usage plutôt que des marchandises, la participation active des exploitéEs est indispensable à cette transformation révolutionnaire de la société. Cette participation ne se décrète pas, elle nécessite une stratégie d’alliance pour « bousculer » le cadre productiviste dans lequel les salariéEs posent spontanément leurs revendications socio-économiques immédiates. S’il ne dissimule pas la gravité des menaces qui pèsent sur l’humanité, Daniel Tanuro conclut sur ces mots : « on ne peut que s’accrocher à l’espérance pour y puiser l’énergie nécessaire à la lutte ».
Enfin, ne faites surtout pas l’impasse sur la préface de Timothée Parrique, véritable plaidoyer pour une réconciliation fructueuse entre écosocialisme et décroissance.
Christine Poupin