De Bruno Latour. Éditions la Découverte, 160 pages, 12 euros.
Dans son dernier livre, Bruno Latour, historien des sciences, présente quelques pistes de réflexion au sujet de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de sa signification quant aux rapports de forces politiques.
De manière ironique, Latour remercie Trump d’avoir clarifié la situation : « Ce que le militantisme de millions d’écologistes, ce que les alertes de milliers de scientifiques, ce que l’action de centaines d’industriels n’ont pu obtenir, ce sur quoi même le pape François n’a pas su attirer l’attention, Trump en a été capable : tout le monde sait maintenant que la question climatique est au cœur de tous les enjeux géopolitiques et qu’elle est directement liée à celle des injustices et des inégalités. »
Vers un capitalisme autoritaire ?
Bruno Latour propose de relier les attaques des climato--sceptiques aux États-Unis à deux autres phénomènes : la dérégulation effrénée, autrement appelée « globalisation », et l’explosion des inégalités sociales. D’après lui, l’élection de Trump annoncerait une nouvelle période politique mettant un terme à celle d’une mondialisation présentée comme l’horizon heureux de toute l’humanité. Avec Trump, une partie des élites serait arrivée à la conclusion qu’il n’y a plus de place pour tout le monde et qu’il faut arrêter de faire semblant. Progressivement, face aux mises en garde des scientifiques et des militantEs écologistes, une partie des élites, notamment étatsuniennes, auraient bien cerné les enjeux autour du climat et du danger que cela représente. Mais plutôt que de résoudre le problème, ils auraient préféré s’organiser pour mieux le dénier. D’après Latour, on serait donc en train de passer d’une phase de développement libérale du capitalisme, en tout cas dans les discours, à une phase plus autoritaire. C’est ce qui permet par exemple d’expliquer la centralité du climato-scepticisme et du racisme dans le discours de Trump. À l’échelle mondiale, cette nouvelle période serait aussi marquée par d’autres phénomènes : la montée du Front national en France et plus largement des partis « populistes », le Brexit, l’amplification des migrations dans l’ensemble du monde, -notamment en raison du climat, etc.
Quels débats structurants pour demain ?
La suite de l’essai est un peu plus théorique. Latour note que, jusqu’alors, les débats structuraient souvent le champ politique autour d’une tension entre le local et le global, où le global était systématiquement vu comme une source de progrès. Désormais, la question écologique pose les débats en d’autres termes. C’est pourquoi Bruno Latour propose le concept de « terrestre », qui permet de renouer avec les actions locales, ou la notion de territoire (chère aux Zadistes), sans pour autant tomber dans le rejet de l’autre et se couper du reste du monde.
On pourra regretter l’absence de perspective réellement militante chez l’auteur, et l’aspect parfois un peu abstrait des discussions. Mais cet essai reste très intéressant en ce qu’il nous invite à réfléchir autrement et à ouvrir certains débats.
Yannick Delion