On n’a pas tous les jours un demi-siècle, et le festival d’Angoulême fait feu de tout bois. Encore plus de bulles et de chapiteaux ouverts au public. Une vieille halle de la gare d’Angoulême (proche de la médiathèque Alpha) a été entièrement rénovée pour agrandir l’espace Manga, et les vieux chais de Cognac, proches de la Cité de la BD, ont été retapés pour étoffer l’offre jeunesse, et ainsi de suite…
Déjà placé sous le signe de la contestation avec la bataille pour l’annulation de l’exposition Bastien Vives1, le festival réserve d’autres surprises. Et parmi elles, quatre expositions décoiffantes.
« Couleurs ! » au Vaisseau Mœbius (proche de la Charente et de la Cité de la BD)
Le Salon international de la Bande dessinée voit le jour à Angoulême le dernier week-end de janvier 1974, et il accueille l’exposition « Esthétique du noir et blanc dans la bande dessinée ». Cinquante ans plus tard, en écho, le festival fait place à la couleur à travers une exposition immersive. Au fil des décennies, noir & blanc et couleur ont cheminé de façon parallèle, chacun prenant tour à tour la tête pour des raisons pratiques, financières ou esthétiques. Les premières colorisations, assez sommaires, fonctionnaient par aplats et, le plus souvent, selon un naturalisme académique. Peu à peu, la frontière se fait plus mince entre la fonction narrative du dessin et celle de la couleur. Avec Arzach de Mœbius, la bande dessinée s’ouvre à la couleur directe et à la picturalité, emportant dans son sillage des auteurs comme Bilal, Bernard Yslaire, Loustal, Richard Corben, Nicole Claveloux. La couleur poursuit le geste de création chez Cosey par exemple et, le plus souvent, par le biais d’unE coloriste qui établit des choix déterminants pour l’album. À la jonction des années 1980-1990, l’arrivée de la colorisation numérique apporte un nouveau lot de petites révolutions et d’autres expérimentations chromatiques. L’exposition Couleurs ! entend ainsi accompagner la reconnaissance du statut de coloriste. En fin de parcours, une salle interactive propose de jouer avec les « comics » hallucinés de Corben ou avec un Batman, prenant, pour ses 80 ans, son envol des remparts de la ville vers l’Alpha médiathèque.
« L’Attaque des titans, de l’ombre à la lumière » à l’Alpha (passerelle depuis la gare)
Un récit exalté, des partis pris graphiques audacieux, un caractère inclassable. Hajime Isayama a posé les bases de sa série dès 2006, à 20 ans à peine. Les épisodes de L’Attaque des titans s’étalent sur 15 ans et connaissent un succès phénoménal et mondial. Les fans se sont livrés à de multiples décryptages d’une intrigue complexe. La nervosité́ du trait associé à la profondeur dramatique de l’écriture donne corps à des visions parmi les plus terrassantes jamais vues en bande dessinée. « Avec ses décors d’inspiration médiévale éventrés par des colosses anthropophages, ses scènes d’action aériennes aux accents steampunk et ses chorégraphies martiales empruntées aux techniques pugilistes du MMA (arts martiaux mixtes), Hajime Isayama amalgame les univers et les genres »2.
« Elle résiste, elles résistent » au Vaisseau Mœbius
Le prix du meilleur scénario 2022 est revenu à Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud (dessins Dominique Bertail) pour l’album Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée. L’exposition revient sur la genèse de l’album, et présente le parcours et les engagements de Madeleine Riffaud et d’autres figures de résistantes. L’exposition dévoile le processus de création unique qui unit Madeleine Riffaud, Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail, dans lequel tout passe nécessairement par la voix, Madeleine ayant perdu l’usage de ses yeux.
« Les 6 voyages de Philippe Druillet » au musée et au lycée Guez-de-Balzac
Grand Prix du Festival en 1988, Philippe Druillet célèbre son retour à Angoulême par une exposition, en six voyages, qui sont autant de voies d’accès aux mondes à la fois colossaux et abyssaux de ce géant du 9e art. Dès 1966, Druillet publie les premières aventures de Lone Sloane chez « Pilote ». En 1974, à la suite de désaccords avec la rédaction, il quitte le journal et fonde, avec Mœbius le mensuel Métal hurlant et la maison d’édition « Les Humanoïdes Associés ». Il ne peut cependant se résoudre à la seule BD. Il est tour à tour plasticien, développeur de projets cinématographiques, illustrateur de romans fantastiques et de science-fiction ou encore designer et même architecte. Avec ce titre emprunté au mythique Les Six Voyages de Lone Sloane (1972), l’exposition explore les six facettes qui ont défini la nature à la fois unique et hybride de son imaginaire. Outre le musée qui accueille l’exposition, la vieille chapelle du lycée Guez-de-Balzac3 se transformera en écrin monumental de son œuvre à travers une projection animée de planches d’albums, qui montrera le chemin vers l’apocalypse selon Philippe Druillet. Accrochez-vous !