Yann Le Masson, né à « Brest même », le 27 juin 1930 (à 21h15 précisait-il), est mort sur sa péniche Nistader, à Avignon, le 20 janvier dernier.
Yann Le Masson était tour à tour et, souvent en même temps, marinier, chef-opérateur, documentariste militant et enseignant de cinéma à Cuba.
Avec une vie aussi riche, on ne s’attardera pas sur sa carrière de chef-opérateur appréciée dans le cinéma commercial qui l’amena à collaborer à plus de 50 films.
Fils d’un officier de marine d’extrême droite, il suit des études d’ingénieur puis il sort de l’Idhec (ancêtre de l’actuelle Femis), avec un diplôme de chef-opérateur, en 1955.
1955, c’est le début de la « guerre sans nom » en Algérie. Militant du PCF, il regimbe à appliquer la ligne : « être aux côtés des masses » et décide de refuser de partir à la guerre coloniale. Il faudra plusieurs réunions de cellule et la « descente » d’un membre du bureau politique, Raymond Guyot, pour le convaincre de rejoindre son régiment. Officier parachutiste d’août 1955 à avril 1958 dans l’ouest algérien, il déclarait : « J’ai dû, la rage au cœur et impuissant, combattre des hommes dont l’idéal était le mien.»
Revenu en France, traumatisé, il se promet d’aider concrètement le FLN algérien et de protester, en artiste avec sa caméra, contre les guerres coloniales.
Fort de son expérience militaire, il fut le plus qualifié de notre réseau lié à la fédération de France du FLN, pour négocier et transporter des armes de qualité (pas comme celles fabriquées par les trotskistes au Maroc !) entre l’Allemagne et la France, cachées dans le faux plancher d’une caravane.
Peu de films ont évoqué la guerre d’Algérie au moment même où elle se déroulait ; Yann a été de presque tous.En 1959, il signe la belle image du court métrage antiguerre du cinéaste communiste marseillais Paul Carpita, La récréation. En 1961, il tourne J’ai 8 ans, avec Olga Poliakoff. Sur une idée de son complice René Vautier (auteur de Avoir 20 ans dans les Aurès), ce film est constitué de dessins d’enfants algériens réfugiés en Tunisie, alternant avec leur visage en plan fixe. Il témoigne, en seulement neuf minutes, de manière émouvante et efficace, des exactions de l’armée française.
En 1962, il collabore au Combat dans l’île, d’Alain Cavalier, portrait d’un fasciste de l’OAS caché dans un thriller grand public.
Comme J’ai 8 ans, Sucre amer (1962) féroce reportage sur la campagne à la députation de Michel Debré à la Réunion est resté interdit pendant dix ans en France.
La force du cinéma de Yann Le Masson, c’est de ne pas se contenter d’un discours politique en se désintéressant de la forme ; les images de ses films sont souvent d’une beauté à couper le souffle. Co-réalisé avec Bénie Deswarte, en 1973, Kashima Paradise en est une démonstration éclatante. La violence spectaculaire des scènes finales d’affrontements entre les forces de l’ordre et les paysans opposés, six ans durant, à la construction de l’aéroport de Tokyo lui valut d’être comparé aux grands maîtres du cinéma.
Dans Regarde, elle a les yeux grand ouverts (1980), il plonge au cœur d’une communauté féministe d’Aix-en-Provence en lutte pour l’avortement et la contraception. Il montre qu’il est aussi un grand cinéaste de l’intime, filmant la naissance avec une dignité bouleversante.
Diminué par le cancer, Yann a eu le bonheur de tenir en main le coffret DVD de ses cinq principaux films sorti en mai 2011*.
D’autres de ses images mériteraient d’être montrées comme celles non retenues par William Klein lors du festival panafricain d’Alger en 1969, ou Pour demain, film électoral du PCR(ml) maoïste (1978) ou encore les bandes réalisées à la fin de la guerre montrant les espoirs des militantes algériennes sortant de prison. Yann avait accepté de figurer sur la liste de la LCR aux municipales à Avignon en 2008.
Paul Louis Thirard
* Éditions Montparnasse