Éditions Actes Sud/Babel, format poche, 2020, 304 pages, 9,20 euros
Joseph Andras multiplie les récits sur la vie de personnages plus ou moins connus. À partir d’eux, qui revivent le temps de la lecture d’un livre, ce sont des périodes ou des moments historiques qu’il nous raconte. Le point commun, c’est l’oppression, la répression, la guerre mais la guerre de classe.
Que ce soit le révolutionnaire Camille Desmoulins, avec Danton et Robespierre, durant les quelques mois intenses de l’an 4 de la révolution française), le jeune Hô Chi Minh, comme un mystère à Paris, déjà en lutte décoloniale indochinoise dans les années 1920, l’ouvrier communiste « français » Fernand Yveton qui choisit le camp du peuple algérien (pendant la guerre d’Algérie), à chaque fois, on s’attache très fortement à ces personnes, ces révoltés, ces combattants. Autant de récits à lire.
Alphonse Dianou, militant kanak, assassiné par l’armée française en 1988
Ici il s’agit d’Alphonse Dianou, un jeune militant kanak, assassiné par l’armée française en 1988. On ne connaisssait pas forcément son nom mais on connaissait l’évènement : la prise d’otage de gendarmes français par des Kanak indépendantistes dans la grotte d’Ouvéa. Ça s’est terminé par un massacre (un de plus). L’État français, en pleine période d’élection présidentielle, Chirac, et Mitterrand aussi, faisant le choix de régler la situation violemment, froidement, en véritable machine raciste et coloniale, tuant ainsi 11 militants kanak. Même si certains, y compris dans l’armée avait tenté la solution pacifique, ce que raconte le livre.
Ce drame débouchera d’ailleurs sur les accords de Matignon puis de Nouméa qui mettront en place le processus de référendum dont le dernier a eu lieu en 2022, ne réglant en rien la situation, repoussant toujours plus la seule issue souhaitable et raisonnable, celle de l’indépendance de la Kanaky.
Journaux et livres de 1988
Pour nous raconter 1988 et nous parler d’Alphonse, l’auteur est donc parti, 30 ans après les faits, sur les lieux du crime, en Kanaky-Nouvelle Calédonie. Il retrace son enquête et nous raconte en même temps cette histoire, le déroulé des évènements, précisément. Et il nous parle d’Alphone, de ses camarades de luttes, de leur combat indépendantiste, de leurs idées, de leurs espoirs, pour leur émancipation, pour leur dignité.
Il y a des données officielles des évènements à partir des journaux de l’époque ou des livres écrits par les protagonistes du pouvoir de l’époque, les entourages de Chirac (Premier ministre) et Mitterrand (président). Et surtout il y a les témoignages, les souvenirs, des proches d’Alphonse, de sa famille, de ses amis, de ses camarades.
Version officielle et version des opprimées
Cette histoire nous est racontée scrupuleusement, avec comme un parallèle entre une version officielle, celle de l’oppresseur et une version « vraie » celle des oppriméEs révoltéEs. En fait, c’est l’histoire du colonialisme français, peut-être à ce jour le dernier fait de guerre coloniale, dans ces années de lutte intense du peuple kanak pour sa liberté. En effet durant les années 1980, les indépendantistes kanak multiplient les actions pour leur autonomie. Le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) avec Jean-Marie Djibaou fait l’actualité politique. En janvier 1985, au cours d’une émeute, ce sont deux militants dirigeants qui sont assassinés (exécutés) par l’armée française, Éloi Machoro et Marcel Nonnaro.
On suit donc le parcours d’Alphonse, dans cette période de bataille, les jours qui précèdent l’action de revendication qui ne va pas tourner comme prévu, et aussi quasiment heure par heure son dénouement jusqu’au drame. Les témoignages des « survivants » ou des générations suivantes nous font revivre avec force la réalité de l’oppression quotidienne, du colonialisme, du racisme, de la violence de cette domination qui dénie tout droit au peuple kanak, et ce depuis plus de 150 ans.
C’est émouvant et révoltant. Ce livre est un bel hommage à Alphonse, à ses camarades, à ce peuple qui lutte encore aujourd’hui pour son indépendance.