Film français de Nicolas Pariser - 1h39. Avec André Dussolier, Melvil Poupaud, Clémence Poésy.
Le premier juillet 2008, la DCRI entre en fonctions.
Le 11 novembre 2008, Tarnac, paisible village de Haute Corrèze est investi par la gendarmerie et l’anti-terrorisme. Son épicerie-buvette et une grande bâtisse agricole gérée par une communauté de « babacool plus ou moins altermondialiste » sont saccagés par les forces du « désordre ».
« Le grand Jeu » vient de commencer, l’antiterrorisme est devenu un moyen de gouvernance avec la complicité et le silence bienveillant des médias. Un jeune réalisateur (Nicolas Pariser) a osé porté le sujet au cinéma et, en dépit de tous les barrages administratifs et financiers (merci ARTE au passage), « Le grand jeu » est sur nos écrans.
La fusion des R.G (Renseignements Généraux) et de la DST (Direction de la sécurité du Territoire) était une obsession du ministre de l’intérieur Sarkosy. Devenu président, elle devient, en dépit de fortes oppositions au sein de l’appareil d’état et de la droite, une réalité avec la création de la DCRI. Initiée par un conseil des ministres en juin 2007, cette nouvelle Direction du renseignement entre en application le premier juillet 2008 dans le cadre d’une profonde grogne des services et d’un manque terrible de « résultats ». Du résultat, ils allaient en faire…
Pierre Blum (Melvil Poupaud), un ancien écrivain au passé gauchiste qui s’est rendu « invisible » suite à une accumulation de désillusion politique et littéraire est contacté par un certain Joseph Paskin (André Dussolier) obscur consultant politique aux allures de Méphisto qui lui propose, contre monnaie sonnante et trébuchante, la rédaction d’un brulot contestataire. Pierre découvrira peu à peu qu’il n’a pas été choisi aux hasards mais en raison des liens anciens qui l’unissent à la communauté agricole de T. dont le « responsable » n’est autre que son ex-guru en politique avec qui il a rompu il y a une dizaine d’années. En parallèle, son ex-épouse, toujours engagée elle, lui fait rencontrer Laura (Clémence Poésy) une militante de la communauté qui remonte de temps en temps à Paris pour finir sa thèse.
Joseph, apparaît peu à peu comme un homme clef des arcanes du pouvoir. Il est en fait opposé à la nouvelle orientation politique et dévoile à Pierre comment le gouvernement veut utiliser la communauté de T. pour « faire du résultat ». Il ne peut pas l’empêcher l’opération mais il pourra la démonter publiquement notamment en faisant la vérité sur le brulot « insurrectionnel » qu’il lui a fait écrire et que le gouvernement utilise comme preuve d’un « terrorisme d’ultra gauche organisée ». Il compte faire chuter le ministre (et prendre sa place au passage mais ça il ne le dit pas). Sauf que les « services » ont tout compris et commencent à liquider physiquement le réseau de Joseph et à intimider physiquement Pierre qui n’a plus d’autres ressources que d’aller retrouver Laura dans la communauté.
On pourrait dire que la suite (assaut du village, mort mystérieuse de Joseph, arrestations des « dirigeants » de Tarnac) est connue et même trop connue. Mais Nicolas Pariser a réalisé un film à la Fritz Lang pas un documentaire. Le film se déploie, emprunte bien des chemins mais on sait que la machine infernale pètera fatalement. La révélation des mystères des lambris du pouvoir et de ses méthodes peu ragoutantes réjouit mais nous avons préféré l’analyse implacable de la trajectoire de l’échec militant et sentimental de Pierre qui l’a conduit à une solitude de plus en plus complète puis à la trahison (quelle importance quand on y croit plus ?). Pierre aura sa rédemption grâce à la sensuelle Laura qui lui fera comprendre la nécessité de l’engagement politique et affectif mais qui est Laura ?
Joseph le manipulateur comprendra lui trop tard et à ses dépens qu’on ne peut pas tout contrôler. « Nous sommes à la veille d’un état de guerre fabriqué » confie t-il à Pierre. On y est effectivement et plus encore qu’au moment où le film a été réalisé.
Un film à aller voir de toute urgence car sa distribution connaît pas mal de difficultés en dépit du soutien de Arte et de Radio France.
Sylvain CHARDON