Publié le Samedi 1 mars 2025 à 08h00.

Mon vrai nom est Elisabeth, d’Adèle Yon

Éditions du sous-sol, 2025, 400 pages, 22 euros.

Adèle Yon, sur près de 400 pages, nous entraîne dans le tourbillon de la recherche, de l’enquête, du récit, aux confins du roman que n’est pas son livre. Impossible de lâcher l’ouvrage tant que l’on n’a pas la solution de l’énigme. 

Une plume alerte et belle

L’auteure combine la profondeur de l’universitaire, la rigueur de l’archiviste, le flair de l’enquêtrice, l’empathie de la fille/petite-fille/arrière-petite-fille, la détermination de la femme, à la patte d’une autrice qui anime — ou qu’anime — une plume alerte et belle.

La construction du livre évoque un chemin au bout duquel il n’est pas concevable de ne pas aller, d’un seul élan, lecteurE toujours avide de découvrir la réalité que cache le prochain virage, le paysage que dévoilera le sommet à venir. Mieux, ce chemin est le parcours même qu’emprunte Adèle Yon à la recherche des siens, de leur/de son, histoire familiale. L’apprentissage de la trace, de la fausse piste — qui finalement n’en est peut-être pas une, du moins pas complètement ! À condition de se mettre en mode veille, de se préparer à tout capter des documents, de celleux qui les confient — ou pas —, de se préparer à regarder un peu ailleurs, à anticiper le pas de côté, à jouer le jeu de ses interlocteurEs qui en retour ont tant à donner.

Suis-je folle ?

Au départ, cette question : suis-je folle ? Pourrais-je l’être ? Que peut-on trouver dans cette famille qui évoque une prédisposition ? Où chercher, comment interpréter, tel silence, tel évitement ? Et ce suicide ? Suis-je folle, destinée à le devenir. Comme certaines des filles de cette famille le seraient, par nature, par essence ?

Une réflexion passionnante sur la famille et ses secrets, les failles des unes et des autres, de génération en génération, les coffres-forts où sommeillent les clés de notre psychisme profond...

Suis-je folle ou est-ce la famille qui enferme et qui rend folle ? Ou alors une introspection de la vie en couple — suis-je folle ou est-ce le couple enfermant qui me rend folle ?

Une plongée dans l’univers de la psychiatrie de grand-papa, avec sa barbarie, la violence de la lobotomie, des électrochocs, de la camisole, des médocs, l’enfermement à durée indéterminée, à perpétuité ou se comptant en décennies. Le basculement dans un univers thérapeutique conçu pour détruire tout ce qui entretient la rébellion, la soif de liberté, ce complice — agent ! — de la domination de la bourgeoisie patriarcale.

Portée par la douleur qui lui noue les tripes — est-ce la douleur qui rend folle ? —Adèle chemine vers la découverte de  la souffrance des siennes, au passé et au présent, la douleur qui serait le lot des femmes, fussent-elles les femmes de la bourgeoisie, invitées à se taire, à faire profil bas, à faire allégeance, pour peu que cela suffise à leur permettre, malgré tout, de vivre. Et si je n’étais pas folle ?

Claude Moro