Scénario et dessins de Pierre-Henry Gomont, Éditions Dargaud, 104 pages, 20 euros.
Années 1990. L’URSS vient de s’effondrer. La Russie d’Eltsine est livrée en pâture au capitalisme le plus sauvage. Les richesses du pays qui, en théorie, appartenaient au peuple, sont attribuées aux bureaucrates liés à la mafia devenus oligarques surpuissants, pilleurs et voraces. La corruption s’affiche, s’étale et s’impose en système partout dans le du pays.
Deux jeunes pilleurs, Dimitri Lavrine, un petit affairiste, et son ami, Slava Segalov, un artiste raté, tentent de participer à ce festin de corruption. On suit avec délectation leurs mésaventures rythmées par la rencontre du peuple d’en bas, de personnages hauts en couleur et surtout de Nina. Slava est une saga en trois tomes qui brosse le portrait d’un pays déboussolé, qui amorce une transition incertaine, et annonciateur de la Russie d’aujourd’hui.
Du petit commerce mafieux…
Slava et son ami Dimitri « font du commerce ». Dans un décor qui fait la part belle à l’immensité des espaces russes autant qu’aux vestiges luxueux de l’architecture soviétique, nos « pieds nickelés » pillent les anciens sites industriels et les palais soviétiques (marbre, bois rare, luminaires, tableaux, robinetterie de luxe et autres babioles) pour de riches commanditaires de l’oligarchie.
Dimitri est un trafiquant sans scrupules. Selon lui, tout s’achète et tout se vend tandis que Slava est un artiste qui a renoncé à ses rêves de gloire et tente de se faire une place dans ce monde pourri qui s’ouvre à eux. Il suit néanmoins Dimitri à contrecœur. Après avoir récupéré, dans un bâtiment à l’abandon, tout ce qui peut se monnayer, les deux compères prennent le chemin de la ville dans leur camionnette chargée à bloc. Mais trois mafieux armés de mitraillettes les attendent dans un col. Embardée de la camionnette. Les brigands vont pouvoir les achever quand survient une jeune femme munie d’un fusil à lunette 1. Nina se débarrasse des mafieux et amènent nos « héros » dans son refuge à travers le froid de la montagne enneigée.
… à l’oligarchie criminelle, impérialiste et anti-ouvrière
Nina squatte, avec des ouvriers, la demeure de l’ancien directeur d’une mine en liquidation. Dimitri convoite immédiatement les richesses du palais en vue de les vendre mais Nina et ses camarades mineurs ont une idée bien différente en tête. Un oligarque doit racheter la mine pour une bouchée de pain pour ensuite la liquider. Les mineurs ne le veulent pas et veulent surenchérir pour garder l’outil de travail. Pour cela, ils ont besoin que nos « pieds nickelés » vendent quelques-unes de leurs machines modernes à une autre mafia. Avec l’argent, ils pourront racheter la mine même si les ouvriers devaient reprendre la pioche pour continuer à vivre de leur travail.
Voilà Slava, Dimitri, Nina et son impressionnant garde du corps Volodia partis en ville pour tenter l’affaire. Mais la machine mafieuse qui est puissante et sans pitié ne se rencontre pas aussi aisément que l’avait prétendu le « petit » affairiste Dimitri….
Un drame politique sur un ton enjoué superbement mis en dessins
L’ouvrage fourmille de trouvailles graphiques et les « lettrés » pourront par exemple se délecter des onomatopées rouges en alphabet cyrillique. La mise en scène dans les montagnes ou dans la grande ville est très proche d’un western, avec ce qu’il faut d’humour décalé quand le fond politique est toujours présent. Celui d’un chaos où règne l’impunité et où la restauration du capitalisme ne se passe pas comme chez les bisounours et où le sang coule. Comme le dit l’auteur Henry Gomont, les années Eltsine expliquent bien la politique impérialiste de Poutine qui a suivi en Ukraine aujourd’hui mais ça, ça sera pour les deux tomes suivants. À suivre donc…