Scénario et dessin Émile Bravo, éditions Dupuis, 114 pages, 17 euros.
Plus qu’un héros, Spirou est le témoin d’une période terrible où dans chaque épreuve son personnage s’interroge et nous interroge à travers un humour subversif : « Qu’aurions-nous fait à sa place » ? À la fin de la deuxième partie1, Spirou tentait désespérément de rejoindre son amie juive Kassandra déportée en Pologne. Confronté à une rafle de gamins juifs dans son quartier de Bruxelles, il s’était laissé embarquer dans un train de déportation pour Auschwitz. La sortie de cette troisième et avant-dernière partie de la mini-série a suscité l’exposition en cours (27 octobre 2021-2 janvier 2022) au Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon intitulée « Spirou par Émile Bravo : une enfance sous l’occupation ».
Occupation nazie, collaboration et résistance
1942, Spirou a donc été raflé avec deux jeunes enfants, Suzanne et Petit Louis, et embarqué dans un train de Juifs en direction de la Pologne. Ce n’est que le début des déportations et les conditions permettent encore une possible évasion des wagons de voyageurs. Ce que Spirou décide de faire, contre l’avis d’un Juif orthodoxe polonais qui a connu les pogroms et ne croit pas à l’extermination des juifs par les nazis. Spirou parvient à décoincer une ouverture et saute du train avec ses petits protégés. Ils partent vers Namur, et s’arrêtent à la ferme d’Anselme qui se propose de cacher les enfants. Spirou retrouve la jeune Mieke. Elle a bien grandi, est devenue résistante et responsable d’une cache pour les animaux de la ferme. Il s’agit de nourrir le maquis naissant et empêcher les Allemands de voler les bêtes. Spirou retourne vite à Bruxelles prévenir Félix et Felka, ses amis peintres juifs allemands2 que l’homme qui devait leur vendre de faux passeports est un collaborateur et qu’ils doivent se cacher.
En dépit de la victoire à Stalingrad, la guerre s’éternise. Spirou et Fantasio reprennent leur activité de marionnettistes ambulants qui leur permet de transmettre des messages aux réseaux qui s’organisent3. Fantasio a un comportement de plus en plus bizarre depuis sa rencontre avec la mystérieuse Madeleine qui l’a engagé secrètement dans son réseau. Spirou répare tant bien que mal les bévues de son fantasque ami tandis qu’ils entreprennent de cacher des outils dans les wagons de chemin de fer pour permettre aux déportés de tenter de s’échapper. L’étau se resserre sur nos amis. Avant d’être torturé comme les autres membres du réseau, Spirou parvient par miracle à s’échapper des geôles de la Gestapo. La cachette des peintres est découverte, Madeleine exécutée. Fantasio, fou de douleur, fait n’importe quoi pour se venger. Commettra-t-il l’irréparable ?
La ligne claire au service d’un humanisme engagé
Le graphisme de cette troisième partie continue à profiter du côté rétro de la ligne claire aux cases bien délimitées pour condenser les mille et une aventures des jeunes héros et de l’écureuil Spip. Chaque personnage, même mineur, est présenté avec beaucoup de subtilité, qu’il soit dans le bon camp ou dans celui de la collaboration nazie. Par exemple, on voit un chef scout passer à gauche dans la résistance pour fuir le STO tandis que d’autres scouts s’afficheront avec la Vlaams National Verbond (VNV - Parti nationaliste flamand). Les membres du clergé catholique sont pour la plupart aveuglés par l’antisémitisme qui fait qu’un curé résistant ne peut être qu’un juif. Si la police belge est clairement aux ordres des nazis, de nombreux « flics » entretiennent des relations secrètes et avérées avec la résistance en faveur de la lutte contre l’envahisseur. C’est d’ailleurs un commissaire qui sauvera Spirou.
Stalingrad, débarquements alliés en Italie et en Normandie, bombardements aveugles américains sur les villes belges exploités par les collabos, la réalité historique s’accélère. Les albums de cette série constituent autant de points de repère sur la totalité de la durée de la guerre vue de Belgique. Spirou, naïf mais courageux, apprend l’action même s’il refuse les armes. Les gamins facétieux de Bruxelles ou de la campagne sont ses meilleurs alliéEs dans cette lutte inégale.