J’ai lu, 256 pages, 7,20 euros.
Un premier roman d’une jeune autrice rwandaise qui vit à Bordeaux depuis 1994. Trois voix se croisent. Trois voix qui crient le désespoir des survivantes du génocide. Trois voix qui tracent les espoirs tâtonnants de la reconstruction d’une identité rwandaise ancrée dans ce pays, sa beauté, la poésie de ses langues et de son imaginaire. Mais aussi des identités métissées brutalisées par les effets dévastateurs des dominations impérialistes dont les répliques ne cessent de percuter la vie des personnages.
Quête d’une identité individuelle et collective
Il y a Blanche, métisse tutsie et française, que sa mère a réussi à faire fuir in extremis en avril 1994 et qui a atterri à Bordeaux. Blanche rongée par la culpabilité d’avoir pu fuir parce que métisse, alors que dans sa génération toute sa famille a disparu. Blanche déchirée entre son attachement sensuel au pays dans lequel elle a grandi, à la langue qu’elle ne peut pas transmettre à son fils, et à la violence de la relation avec sa mère murée dans le silence alors qu’elle aurait besoin de sa parole pour renouer les fils de son histoire marquée par les secrets.
Immaculata la mère, la survivante. Elle a survécu au génocide, cachée par un intellectuel hutu qui participait pourtant aux massacres de Tutsis qu’il ne connaissait pas. Elle a survécu au fils qu’elle avait eu avec un Hutu opposant à ce qui deviendrait le pouvoir génocidaire. Un fils dont le suicide l’a rendu muette, écrasée par la culpabilité de ne pas avoir pu l’aider, lui qui avait combattu avec le Front patriotique rwandais contre les milices génocidaires. Mais la culpabilité de ne pas réussir à construire son identité c’est toute l’histoire de cette femme, grandie dans un Rwanda qui venait tout juste de conquérir son indépendance.
Et il y a Stockely, le fils de Blanche et de son compagnon médocain et antillais. Il doit son nom à l’admiration pour les Black Panthers d’un père en quête de son identité africaine.
On accompagne ses personnages si attachants, qui ont connu au plus profond la peur, la rancœur et la culpabilité, et qui pourtant ne sombrent pas. Des personnages qui donnent une incarnation aux souffrances d’un peuple et à la pénible reconstruction d’une identité individuelle et collective.