Éditions Textuel, 2024, 352 pages, 22,90 euros.
Claude Serfati est l’un des rares économistes français à mener un travail continu de recherche sur l’économie mondiale, l’industrie militaire et la place des forces armées dans l’État. Son précédent ouvrage paru en 2022, L’État radicalisé. La France à l’ère de la mondialisation armée (La Fabrique, 2022)1 était centré sur la France. Celui-ci étudie certaines des facettes internationales de la « mondialisation armée ».
Claude Serfati souligne que « le système international des États est aujourd’hui agi par les forces opposées de la coopération et de la rivalité » (p. 197).
Deux caractéristiques du monde actuel pulvérisent deux illusions sur l’impact de la mondialisation capitaliste sur les relations internationales. Le premier est le paradigme du « doux commerce » énoncé au 18e siècle par Montesquieu et ravivé à la fin du 20e siècle (ainsi avec la fondation de l’Organisation mondiale de commerce) : les relations commerciales de plus en plus développées sont destinées à limiter la violence dans les relations entre États. Le second pronostic est celui du « dépérissement » des rivalités inter-étatiques dont la base serait sapée par l’interpénétration des capitaux. Pourtant, comme le souligne Serfati, le capital a besoin des États, d’une part comme instrument de défense et de reproduction des rapports sociaux sur un territoire, et d’autre part afin qu’il défende « sa » classe dominante et « ses » grands groupes financiers et industriels vis-à-vis de leurs concurrents sur le marché mondial.
Appropriation des ressources naturelles
Chaque chapitre du livre est centré sur un aspect des guerres qui déchirent notre monde et qui ne se résument pas aux conflits armés ouverts. La première de ces guerres est celle menée contre la nature. L’appropriation des ressources naturelles correspond à la logique du capital. Mais la guerre à la nature est aussi depuis le 15e siècle un facteur essentiel de conflits armés ouverts ou latents. Aujourd’hui, les besoins en minerais (cobalt, lithium, etc.) exacerbés par les technologies numériques et le passage aux véhicules électriques ont pour conséquence une surexploitation de certains territoires et des guerres « locales », véritables « guerres pour les ressources » qui ravagent des pays du Sud avec en arrière-plan de « respectables » compagnies minières.
L’Union européenne et le militarisme
Le deuxième chapitre de l’ouvrage est consacré à l’Union européenne. L’UE commence à jouer sa partition dans ce monde en guerres. Il ne s’agit pas seulement de la politique barbare vis-à-vis des migrantEs et de la relation néocoloniale entretenue avec l’Afrique mais du fait que de plus en plus l’UE se donne des instruments d’un militarisme propre notamment en matière industrielle. Cette avancée est cependant compliquée par les pressions exercées tant par les États-Unis que par les États-membres les plus puissants qui veulent défendre leurs intérêts propres.
La Chine, une menace pour l’hégémonie des États-Unis
Le troisième chapitre concerne l’analyse de l’impérialisme. Il revient sur le « développement inégal et combiné », analysé par Trotsky, et décrit la reconfiguration de l’espace mondial qui met aujourd’hui en présence un « bloc atlantique hiérarchisé », avec au sommet les États-Unis, et une puissance montante et résolue : la Chine. Pour Serfati, la Chine est un « impérialisme émergent » dont la logique est fondamentalement la même que celle des autres pays impérialistes. Sa rivalité avec les USA ne peut être assimilée à celle qui a existé entre ceux-ci et l’URSS mais ressemble plus à celle qui a opposé au début du 20e siècle les « vieux impérialismes » (Royaume-Uni et France) au nouvel empire allemand et a débouché sur la Première Guerre mondiale. La montée de la Chine menace directement l’hégémonie étatsunienne — et, pour l’auteur, l’enclenchement d’un engrenage conduisant à un conflit militaire ne peut être écarté.
Intelligence artificielle et surveillance
Le quatrième et dernier chapitre porte sur l’intelligence artificielle et son utilisation par les États pour surveiller leur population et faire la guerre. Les GAFAM se plient sans trop de résistance aux demandes des États et se soumettent aux marchés lancés par ceux-ci : ainsi Google et Amazon ont signé en 2021 un contrat avec Israël pour la fourniture de systèmes avancés de reconnaissance faciale et d’analyse comportementale.
On trouvera également dans le livre des développements portant notamment sur les impasses du « campisme », une analyse de certaines dimensions et des répercussions de la guerre menée par Israël à Gaza et des soutiens qu’elle reçoit du « bloc transatlantique ». Et enfin, des éléments de réflexion sur la construction d’alternatives au capitalisme, de résistances populaires refusant « de subir le double fléau de l’argent et du militarisme ».
Henri Wilno