Publié le Dimanche 13 novembre 2022 à 18h00.

« Sur notre territoire 90 % des exploitations n’irriguent pas : faire de l’agriculture sans entrer dans les logiques d’irrigation systématique, c’est possible »

Entretien. À Sainte-Soline, un peu avant la manifestation du 29 octobre dernier, Julien Leguet, un des porte-parole du collectif Bassines, non merci ! est revenu sur les raisons de la colère qui s’exprime depuis plusieurs années dans la région. Pourtant, l’État a officialisé le 3 novembre un protocole d’accompagnement pour la création de 30 gigantesques réserves d’eau artificielles. Le combat continue.

Aujourd’hui, 29 octobre, c’est un moment un peu particulier de la lutte puisque la manifestation qui part de ce camp où nous sommes installéEs est interdite. Comment s’annonce cette journée et ses suites ?

Aujourd’hui, ce sera probablement la plus grosse manifestation qu’on ait jamais connue avec un niveau de détermination jamais atteint. Tous les arrêtés liberticides de la préfecture ne font que produire de la détermination. Chaque fois qu’on est harcelé, chaque fois que la préfecture cherche à nous faire passer pour de dangereux terroristes, ce sont les gens les moins radicaux qui trouvent intolérables que celles et ceux qui se battent pour la sauvegarde d’un bien commun puissent être traitées comme des terroristes. On espère qu’aujourd’hui c’est la fin de l’histoire des bassines, que ce sera une journée historique : on va défiler, on va prendre d’assaut la bassine. Il n’y a pas d’autre stratégie, on y va ! Si on devait reculer, il y a plein d’autres stratégies superludiques qui obligeront le dispositif policier à s’éclater, mais on espère que ce soir, demain, le gouvernement Macron annonce un moratoire et une autre politique de la gestion de l’eau. Ce n’est pas avec plus de répression qu’on éteint l’incendie. Il n’y a que le dialogue ou l’ouverture du dialogue qui peut le faire. On s’attend à une journée rock’n roll. […] On a de sérieuses craintes quant aux violences policières. On a vu le matos arriver hier devant la bassine. Le gars [des forces de l’ordre, NDLR], dans son gros sac il n’y avait que des bombes de désencerclement. Nous, nous ne sommes pas venuEs armés sur le site. Tout ce qu’on veut c’est défiler, s’exprimer et que les libertés fondamentales puissent exister. Et on nous répond à coups de lacrymo… Qui génère le désordre public, franchement ? L’État n’a qu’un geste à faire : reculer.

Cette lutte met en jeu deux aspects. D’abord, la lutte contre l’agriculture productiviste, la propriété privée, c’est-à-dire la lutte économique pour le contrôle de l’eau, pour la démocratie, pour savoir qui décide de ce qu’on fait du bien commun. Ensuite, la lutte est sur le terrain de la liberté d’expression, contre la répression. Cette violence, c’est celle de l’État mais on n’a pas peur de cette forme de lutte qui est radicale, radicale par le nombre et par la détermination…

Ce qui est sûr c’est qu’on a face à nous un véritable rouleau compresseur. Ce qui conduit à se demander : à qui profite le crime ? Ces mégabassines ne profitent pas aux paysanEs du coin (qui utilisent par ailleurs des pesticides certainement). Elles profitent aux mégafermes, aux fermes-usines. Elles font le lit des fermes de plusieurs centaines voire milliers d’hectares. L’agriculture de demain, c’est ce désert comme aujourd’hui mais au lieu d’avoir 5 fermes sur la commune, il n’y en n’aura plus qu’une seule. Les bassines sont au service de cette agriculture intensive. L’eau c’est l’affaire de tous et cela doit faire normalement l’objet d’un encadrement technique qui s’appelle projet de territoire de gestion de l’eau (PTGE) et qui englobe tous les acteurs concernés. Or, aujourd’hui, la politique de l’eau, c’est l’accaparement par quelques-uns, c’est-à-dire les signataires du protocole pour la construction des mégabassines : la FNSEA, donc les chambres d’agriculture, les semenciers, les coopératives agricoles, l’État et les éluEs locaux compromis. Les ministres de l’Agriculture ont toujours été désignés avec le blanc-seing de la FNSEA, qu’ils soient de droite ou de gauche. Cette politique de la cogestion avec les lobbys agrochimiques est encore en vigueur en Nouvelle-Aquitaine. Alain Rousset, président de la région depuis 2016, l’incarne. Il va falloir que les éluEs communistes arrêtent de financer des projets, comme les mégabassines, qui vont dans le sens de la privatisation de l’eau notamment. S’ils sont pour la préservation des communs, qu’ils sortent du jeu des politiques libérales… comme Alain Baché.

Il y a plein de sujets sur lesquels les éluEs doivent arrêter le suivisme avec les politiques libérales, les éluEs communistes mais aussi ceux d’Europe Écologie-les Verts qui sont parfois dans des situations inconfortables !

En Nouvelle-Aquitaine, sans les 10 voix du PCF, Alain Rousset n’a plus de majorité absolue. Ce qui veut dire que s’il veut faire passer les financements des bassines, il devra s’allier avec la droite, ce qui clarifierait les positions. À l’époque les Verts avaient une minorité de blocage. C’est pour cette raison que jusqu’à maintenant il n’y a eu aucun financement régional direct. En revanche, comme la région utilise des fonds dits FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural), Rousset a réussi, avec les plans régions-Europe, à injecter des centaines de milliers d’euros dans la précédente bassine et dans celle-là via le financement des CUMA (coopératives d’utilisation de matériel agricole) qui, elles, peuvent prétendre au FEADER.

Est-ce que comme cela se dit parfois certains agriculteurs vont crever sans les bassines ?

La moitié des bassines connectées le sont pour des céréaliers qui pour la plupart sont multimillionnaires et investissent dans l’immobilier. Ce ne sont ni des miséreux ni des petits éleveurs de vaches pressurisés par leur coopérative auxquels, d’ailleurs, on doit la compassion et l’urgence à sortir de leur système, parce qu’ils sont en train de crever et de faire crever tout le reste avec. Il faut rappeler aussi que sur notre territoire 90 % des exploitations n’irriguent pas. Ce qui veut dire qu’on peut faire de l’agriculture sans entrer dans ces logiques d’irrigation systématique. Le maraichage nécessite de l’irrigation l’été, donc consacrons les volumes disponibles à garantir l’autonomie en légumes et en fruits sur la zone, mais arrêtons d’arroser du maïs qui ne nourrit personne, seulement le marché international ou des bêtes qui sont des herbivores à la base et qu’on contient dans des élevages carcéraux.

Et les rapports avec le monde paysan ? Il y a de la sympathie pour la lutte ? C’est partagé ?

Il y a une sympathie qui se matérialise par la présence à nos côtés de la Confédération paysanne depuis quatre ans, pour qui aujourd’hui cette lutte est une cause nationale. Nicolas Girod, son porte-parole est présent aujourd’hui. Le MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux) semble nous donner raison. Et puis, il y a par exemple M. Beguin qui est à côté et qui nous prête le terrain. […] De nombreux paysans nous soutiennent, mais ils ne peuvent pas ou n’osent pas s’exprimer parce qu’il y a aussi les moyens de pression. S’ils sont irrigants eux-mêmes, il sont pénalisés sur le renouvellement des volumes d’eau. Ils sont pénalisés pour postuler à de nouvelles terres à la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) et leur famille aussi est visée. Il y a une vraie mafia agricole. Les actions futures, si ça ne bouge pas, ce seront des occupations de chambres d’agriculture ou de grosses coopératives comme Océalia qui a laissé des tonnes de maïs là-bas près de la bassine, dans lesquelles il y a de l’ammonitrate. Il y a deux mois, il y en avait plus qu’à Beyrouth quand le port a explosé. J’espère qu’ils ont fait le nécessaire.