Par Jean-Claude Vessilier
Contrairement à ce qui est ressassé tous les jours par le patronat, le gouvernement et leurs experts, le « coût du travail » n’a pas grand-chose à voir avec les restructurations en cours dans l’industrie automobile, particulièrement violentes en ce moment en France. La recherche de la rentabilité maximale des capitaux investis, en revanche, est très concernée…
La menace de fermeture de l’usine PSA d’Aulnay et les attaques contre l’emploi dans toutes les usines du groupe polarisent l’actualité sociale en cette rentrée 2012, moins de six mois après l’élection de François Hollande à la présidence de la République. Dans l’automobile, PSA n’est pas seul à l’offensive. Le concurrent Renault n’est pas en reste dans une politique détruisant des milliers d’emplois. Équipementiers et sous-traitants sont aussi visés. Toute la filière automobile est concernée par une crise dont les manifestations d’aujourd’hui viennent de loin. La récession mondiale de 2008/2009 a entraîné des restructurations qui n’en finissent pas de produire leurs effets.
La faute à l’imprévisible, à une baisse conjoncturelle des ventes d’automobiles en Europe ou au coût du travail qui serait trop cher en France : patrons de l’automobile, médias et experts gouvernementaux rivalisent d’arguments pour faire des salariés ceux qui ont à payer les frais de la crise. Quant à Hollande, son opposition aux plans patronaux n’aura duré que le temps d’un discours, le jour des pétards du 14 juillet.
Remonter aux racines de la crise, c’est dire la vérité sur les faits, désigner les véritables responsabilités et poser les conditions de véritables solutions.
Une crise de surproduction capitaliste
La crise n’est pas la même pour tout le monde. En 2012, jamais autant de voitures n’auront été produites dans le monde par une industrie qui continue d’être contrôlée depuis une trentaine d’années par les mêmes firmes japonaises, nord-américaines et européennes. La seule exception a été l’apparition d’un constructeur coréen, Hyundai, parmi les grands de la planète. Mondialisation capitaliste aidant, ces mêmes firmes, soit seules, soit au travers d’alliances, se font concurrence sur tous les continents. Renault au travers de son alliance avec Nissan et PSA font partie des dix firmes automobiles les plus puissantes de la planète, même si elles n’y jouent plus les tout premiers rôles.
La concurrence se déploie partout dans le monde, mais l’Europe est le continent sur lequel la compétition entre toutes les firmes automobiles mondialisées est la plus aiguë aussi bien en termes d’usines de production que de réseaux de vente. Firmes japonaises et coréennes construisent de nouvelles usines en Europe, et pas seulement en Europe de l’Est. En France, les usines automobiles les plus récentes sont celle Toyota près de Valenciennes et de Mercédès qui produit la Smart à Hanbach, en Moselle.
D’un côté des vieilles usines que l’on veut fermer, de l’autre de nouvelles usines construites : c’est paradoxalement l’application de la même loi du profit au mépris des conditions de vie et d’emploi de dizaines de milliers de travailleurs. Ce sont les restructurations capitalistes qui sont partout à l’œuvre.
La vérité est que l’industrie automobile européenne, plongée au cœur de la crise de l’économie capitaliste, connaît une crise classique de surproduction. Les constructeurs automobiles trouvent de moins en moins d’acheteurs à un prix de vente qui garantisse la rentabilité du capital investi au taux que réclament les actionnaires. Ils pourraient baisser le prix des voitures, mais ils baisseraient alors leurs profits. Ils sont d’autre part confrontés aux exigences croissantes de diminution des émissions polluantes et de réduction de consommation d’un pétrole de plus en plus rare et cher, facteurs qui contribuent tous au renchérissement du prix des voitures.
Ils pourraient investir dans des usines plus récentes, à l’exemple en France de Toyota, mais Renault et PSA préfèrent le faire sur les autres continents, là où les ventes d’automobiles progressent le plus. Ils se plaignent de capacités de production utilisées à hauteur de 80 %, mais c’est avec le travail posté et de nuit qu’ils ne veulent pas remettre en cause. En fait, les patrons de PSA et Renault ont recours à la vieille pratique capitaliste: classiquement, l’issue à une situation de surproduction est, si on les laisse faire, la destruction de moyens de production.
La menace de fermetures d’usines en Europe
En termes de fermetures d’usine, un pays a jusqu’à présent fait mieux que l’Europe. Aux Etats-Unis, des dizaines d’usines ont été fermées et des centaines de milliers d’emplois sacrifiés. Avec cette saignée, Obama s’autoproclame sauveur de l’industrie automobile américaine qui embauche maintenant des travailleurs payés moitié moins que les plus anciens, dans des usines implantées dans le sud des États-Unis, où les avantages de la région historique de Detroit ne s’appliquent pas.
Laisser faire la logique du capital, ce serait tolérer la généralisation de cette situation. C’est une menace très sérieuse. Jusqu’à présent, le patronat de l’automobile a hésité en Europe à utiliser ces méthodes brutales. Force est de constater que jusqu’à présent, depuis l’irruption de la crise en 2008, les fermetures d’usines ont été exceptionnelles en Europe, la dernière grande usine de montage automobile visée ayant été celle d’Opel General Motors à Anvers.
Les raisons sont à trouver dans les résistances manifestées par un mouvement ouvrier encore suffisamment organisé pour empêcher la généralisation de cette politique. Tout se tient : simultanément à la mise à l’ordre du jour de la fermeture de nouvelles grandes usines automobiles, se déploie une politique d’attaque frontale contre les salariés et leurs syndicats. En Italie, Fiat est à l’avant-garde de cette politique avec sa décision d’ôter à la FIOM le droit d’avoir des délégués dans les ateliers d’usine Mirafiori de Turin. En 2012, après Aulnay, c’est Ford qui menace de fermeture une usine de 4 000 salariés en Belgique.
L’austérité qui s’applique partout en Europe, en organisant la stagnation ou la baisse des salaires de la majorité de la population, aggrave une situation à l’œuvre depuis des années. PSA n’avait pas attendu la baisse des ventes constatée en France ces derniers mois pour préparer et vouloir décider de la fermeture de l’usine d’Aulnay : c’est un plan mûri de longue date comme l’avait révélé il y a plus d’un an le syndicat CGT de PSA Aulnay. Les patrons de l’industrie automobile européenne se préparent depuis des années à cette stratégie fondée, pour sauver leurs profits, sur la destruction de moyens de production. Faire ce constat est simplement prendre la mesure de l’ampleur des offensives en cours.
Des suppressions d’activités et d’emplois particulièrement vives en France
La France a la particularité d’être l’un des pays européens où, dans toute l’industrie et en particulier dans l’automobile, la destruction des emplois et des outils de production a été la plus violente. Les années précédentes, le secteur des sous-traitants et des équipementiers était en première ligne des restructurations. Le mouvement atteint maintenant le cœur des dispositifs industriels.
Dans sa compétition franco-française avec PSA, Renault a pris une longueur d’avance en ce qui concerne la destruction des emplois et l’internationalisation de sa production. Les effectifs salariés de Renault dans la branche automobile en France ont été divisés par presque trois entre 1985 et aujourd’hui. Ceux de PSA sur la même période ont baissé de 50 %.
A la fin du premier semestre 2012, Renault ne réalisait plus que 21 % de sa production totale en France, alors que c’est le double pour PSA avec 40 %. Les usines Renault de Sandouville et de Flins ont des effectifs cinq fois inférieurs à leur maximum atteint dans les années 1970 et 1980 : leur asphyxie est bel bien programmée. Alors que l’actualité est polarisée par les menaces qui pèsent sur Aulnay, Renault installe dans une zone franche à Tanger, au Maroc, une usine dont le volume de production devrait être dans les cinq ans de 400 000 véhicules par an, à quoi va s’ajouter une usine près d’Oran, en Algérie, d’une capacité à terme de 150 000 voitures. Cela veut dire que Renault installe sur le pourtour de la mer Méditerranée une capacité de production supérieure au total des voitures qu’il a produites en France en 2011, à savoir 440 000.
Les experts qui se penchent sur le sort de l’industrie automobile en France expliquent les difficultés de PSA par son retard à s’internationaliser et proposent donc Renault comme modèle à suivre. Les résultats financiers de Renault pour ses actionnaires et son PDG sont meilleurs que ceux de PSA, mais au prix de destructions d’emplois et d’activités très importantes.
Le résultat net, c’est-à-dire le bénéfice, du groupe Renault, avec ses trois marques, s’est élevé à 786 millions d’euros pour le premier semestre 2012. Ce chiffre peut être comparé aux 819 millions de pertes de PSA durant la même période. En fait, ces gains proviennent exclusivement d’opérations et placements financiers. Rien ne vient de l’activité de production de voitures du groupe.
Les participations de Renault dans Nissan, Volvo poids lourd et le russe Autovaz lui ont en effet rapporté 630 millions d’euros, soit 80% du résultat net La seule participation Nissan a rapporté 564 millions d’euros pour ce premier semestre 2012. La contribution du « financement des ventes », c’est à dire le crédit automobile effectué par la banque RCI, s’est élevée à 395 millions d’euros. Tous les gains viennent de là : avec Ghosn, Renault est devenu un tiroir-caisse. Bravo le modèle !
Le mensonge du coût du travail
On connaît la chanson : le déclin de l’emploi industriel en France s’expliquerait par le coût du travail. Cette affirmation est fausse. Dans l’Union européenne, le coût moyen du travail était en 2011, pour les entreprises de plus de 10 salariés, de 23,1 euros de l’heure. Avec 34,2 euros de l’heure en moyenne, la France est dans le groupe des pays au coût élevé, mais elle n’est pas la plus chère. La Suède est à 39,1 euros et la Belgique à 39,3 euros. L’Allemagne, avec 30,1 euros de l’heure, se situe en-dessous mais reste dans le peloton de tête. La France est le 5e pays en Europe en matière de coût du travail, l’Allemagne étant 8e.
D’autres facteurs expliquent les choix de localisation industrielle, car les écarts précédents comptent finalement pour très peu dans le prix final d’une voiture, où la part des salaires n’entre que pour 5 à 10 %. Diversifier les sources de production pour exacerber les concurrences entre sites, pays et salariés est une raison « politique » bien plus décisive. L’expert Sartorius, nommé par le ministre Montebourg, l’a confirmé en ne proposant comme alternative à la menace visant l’usine d’Aulnay que la fermeture de l’usine PSA de Madrid !
La position concurrentielle de l’industrie automobile française s’est principalement dégradée, au cours des dix dernières années, vis-à-vis de l’Allemagne qui n’est pas un exemple de pays à bas coût du travail. Avec les pays dits émergents, la France exporte plus qu’elle n’importe en terme de voitures. L’Europe prise dans son ensemble exporte plus de voitures vis-à-vis du reste du monde qu’elle n’en importe. Les restructurations-délocalisations sont effectivement insupportables, mais la réalité pour l’automobile européenne est d’abord celle de l’intensification de la concurrence entre firmes et pays capitalistes les plus développés.
Ils organisent la fuite de l’industrie automobile
La concurrence entre firmes a souvent les aspects d’un casino où l’issue des batailles n’est pas écrite d’avance, alors qu’en fin de compte ce sont toujours les salariés qui trinquent. Les travailleurs acquièrent un savoir-faire lié à un type de production et sont attachés à la valeur d’usage du bien qu’ils contribuent à produire :« pas de bagnoles sans nous ». C’est un savoir-faire qui pourrait être mobilisé pour d’autres productions socialement utiles, en satisfaisant les besoins en transport collectif innovant.
Mais ceci est en complète dissymétrie avec les choix des actionnaires, fondés sur la rentabilité de leur capital investi aujourd’hui dans l’automobile et demain, pourquoi pas, dans une autre branche de l’économie. Ils vont là où la prairie est la plus verte. Alors que les fonds de pension actionnaires de Renault appliquent brutalement cette politique, on a voulu nous faire croire que la famille des héritiers et rentiers Peugeot était attachée à un « patrimoine industriel ».
Les réalités remettent les pendules franc-comtoises à l’heure. La famille Peugeot a une partie de sa fortune valorisée au sein d’une société financière, la FFP. Lors du meeting de rentrée du NPA cet été à Port-Leucate, Bertrand Dubs, ouvrier chez PSA à Mulhouse avait énuméré les nombreux secteurs d’activité où la famille Peugeot plaçait ses capitaux, parmi lesquels les équipements ménagers (Seb, Moulinex, Tefal), les autoroutes (la SANEF), le matériel aéronautique (Lisi), les instituts de sondage (IPSOS) sans oublier les maisons de retraite. Au mois de juin 2012, les automobiles PSA ne représentaient plus que 30 % du capital total de la FFP, une partie de la fortune de la famille car il y aussi les placements à l’abri dans quelques paradis fiscaux. Le désinvestissement de la famille Peugeot de l’automobile est en marche.
La rentabilité d’une entreprise capitaliste n’est pas une donnée abstraite : côté face, c’est l’exploitation de milliers d’ouvrier licenciables au gré des fluctuations des cours d’actions, côté pile, ce sont des profits privativement accaparés par des propriétaires et actionnaires qui peuvent zapper d’un secteur économique à l’autre. Voilà ce que démontrent les pratiques de la famille Peugeot, son expropriation devenant une mesure de « morale » publique.
L’ampleur des restructurations en cours de l’industrie automobile concerne bien au-delà des seuls travailleurs de l’usine d’Aulnay et de PSA. C’est toute une filière industrielle qui fait face à l’application méthodique de la loi du profit. La nécessaire préparation du tous ensemble découle du caractère général de l’attaque.