Cette année 1975, dans la foulée de la victoire vietnamienne, le Mozambique proclame son indépendance (en juin), ainsi que l’Angola (en novembre). Tous deux seront cependant envahis par l’Afrique du Sud, mais dans ce dernier pays, le régime d’apartheid trouvera lui aussi sa fin en 1994…
Les États-Unis ont été mis en échec au Vietnam, mais le Roi n’est pas mat pour autant. Les accords de Paris ne débouchent pas sur un compromis, à l’instar de ce qui s’est passé avec les accords d’Evian de 1962 entre l’impérialisme français et le nouveau régime algérien, bien au contraire. Washington a pour politique de se venger et le conflit se poursuit sous d’autres formes. Dès 1972, en un geste spectaculaire, Richard Nixon s’est rendu à Pékin alors que les combats faisaient rage dans la péninsule indochinoise. Une alliance de circonstance se dessine qui conduit, après 1975, à un front anti-Vietnam entre l’impérialisme américain, la Chine (dont Deng Xiaoping reprend les rênes)... et les Khmers rouges (derrière le paravent officiel de Sihanouk).
La guerre n’est pas finie. Washington maintient la pression diplomatique sur le Vietnam, alors que les Khmers rouges, engagés dans une fuite en avant meurtrière au Cambodge, multiplient les attaques frontalières et revendiquent le delta du Mékong. En décembre 1978, l’armée vietnamienne intervient massivement et le régime de Pol Pot s’effondre, les populations déportées retournant chez elles. En février-mars 1979, quelques 120 000 hommes de l’armée chinoise attaquent en plusieurs points la frontière nord. Il revient aux milices locales et aux troupes régionales d’y faire face, les forces régulières vietnamiennes étant engagées sur le théâtre d’opérations cambodgien. Il s’agit en fait pour le PCC de signifier à Hanoï que les archipels des Spratleys et Paracels sont chinois... Une préfiguration des conflits territoriaux maritimes actuels.
Pour le Vietnam, une défaite dans la victoire
La guerre après la guerre précipite une crise au Vietnam. La société sort épuisée de 30 années de conflits. Le régime se durcit encore, alors qu’il a déjà par le passé mis Hô Chi Minh (décédé en 1969) plus ou moins sur la touche, a écarté Giap à plus d’une reprise, et a mené une purge secrète au sein de la direction, les supposés « pro soviétiques » étant placés pour de longues années en résidence surveillée. Il craint que la communauté chinoise au Sud du pays ne devienne une cinquième colonne et s’attaque par ailleurs aux gros commerçants capitalistes… souvent chinois. Pékin souffle sur les braises, ce qui provoque l’exode massif des « boat people ».
La défaite des États-Unis de 1975 a eu des conséquences durables. L’impérialisme US a connu un déclin relatif, dont l’Europe aurait pu profiter. Des années durant, il lui a été politiquement impossible de s’engager directement dans une nouvelle guerre. Une fenêtre favorable aux luttes aurait pu s’ouvrir, si les conséquences du conflit sino-soviétiques ne l’avaient pas immédiatement refermée. La défaite dans la victoire n’est pas venue de l’ennemi extérieur, mais de l’ennemi intérieur de toute révolution sociale : la bureaucratie, ainsi que, ne l’oublions pas, de la faiblesse des solidarités internationales, une question toujours très présente.
Le peuple vietnamien aurait pu gagner son indépendance en 1936-37 au moment du Front populaire en France ; ou en 1945, si Paris n’avait pu envoyer un corps expéditionnaire à la reconquête de son ancienne colonie ; ou en 1954 si Pékin et Moscou n’avaient pas passé un deal avec Paris ; ou encore en 1968, à la suite de l’offensive du Têt. Il aura fallu attendre 1975, après des décennies de destructions et d’épreuves qui auraient pu être épargnées aux forces de libération et à la population tout entières.