La victoire de Jair Bolsonaro à l’élection brésilienne d’octobre 2018 n’est que le plus récent épisode d’une vague brune à l’échelle planétaire. Par rapport à d’autres gouvernements d’extrême droite dans le monde, le phénomène Bolsonaro au Brésil semble le plus proche du fascisme classique, par son culte de la violence et sa haine viscérale de la gauche et du mouvement ouvrier. Mais il n’a pas, contrairement à différents partis européens – du FPO autrichien au FN français – des racines dans des mouvements fascistes du passé – dans le cas brésilien le Parti Integraliste du Führer Plinio Salgado (années 1930).
Il ne fait pas non plus du racisme sa principale bannière, contrairement à la droite extrême européenne. […] De ce point de vue, il ressemble plutôt au fascisme italien des années 1920, avant l’alliance avec Hitler.
Si l’on compare Bolsonaro avec l’extrême droite européenne on voit plusieurs [caractéristiques propres].
L’importance du thème de la « lutte contre la corruption », vieux cheval de bataille de la droite conservatrice au Bresil, depuis les années 50. Bolsonaro a réussi à manipuler la légitime indignation populaire contre les politiciens corrompus. Ce thème n’est pas absent dans le discours de la droite extrême européenne, mais est loin d’occuper une place centrale.
La haine pour la gauche, ou le centre-gauche (le PT brésilien) a été un des grands thèmes mobilisateurs de Bolsonaro. On le trouve moins en Europe, sauf chez les forces fascisantes des ex-démocraties populaires. Mais dans ce cas, il s’agit d’une manipulation (diabolisation) qui se réfère à une expérience réelle du passé. Rien de tel au Brésil : le discours violemment anti-communiste de Bolsonaro n’a rien à voir avec la réalité brésilienne présente ou passée. Il est d’autant plus surprenant que la Guerre Froide est finie depuis des décennies, l’Union Soviétique n’existe plus, et le PT n’a évidemment rien à voir avec le communisme (dans toutes les définitions possibles de ce terme). Parmi les mesures contre la gauche : le programme « École sans Parti », c’est à dire la purge des enseignants des écoles et des universités suspects de tendance progressiste.
Tandis que l’extrême-droite européenne dénonce la globalisation néo-libérale, au nom du protectionnisme, du nationalisme économique, contre la « finance internationale », Bolsonaro a présenté un programme économique ultra-libéral : plus de marché, ouverture aux investissements étrangers, privatisations, et un total alignement sur la politique nord-américaine. Cela explique sans doute le ralliement massif des classes dominantes à sa candidature, une fois constaté l’impopularité évidente du candidat de la droite traditionnelle (Geraldo Alckmin).
Ce qui est commun à Trump, Bolsonaro et la droite extrême européenne, ce sont trois thèmes d’agitation socio-culturelle réactionnaire :
• L’autoritarisme, le l’adhésion à un Homme Fort, un Chef, capable de « restaurer l’ordre »,
• L’idéologie répressive, le culte de la violence policière, l’appel au rétablissement de la peine de mort, et à distribuer des armes à la population pour sa « défense contre les criminels »,
• L’intolérance vis-à-vis des minorités sexuelles, en particulier le peuple LGBTI. C’est un thème agité, avec un certain succès, par des secteurs religieux réactionnaires, soit catholiques (en France),soit néo-pentecôtistes (Brésil).
Ces trois thèmes, ensemble avec « le combat à la corruption », ont été décisifs pour la victoire de Bolsonaro, notamment grâce à la diffusion massive de fake-news par les médias sociaux (mais reste à expliquer pourquoi tant de personnes ont cru à ces mensonges grossiers). Mais il nous manque encore une explication convaincante de l’incroyable succès, en seulement quelques semaines, de sa candidature, malgré la violence, la brutalité de ses discours de guerre civile, sa misogynie, son absence de programme et son apologie éhontée de la dictature militaire et de la torture.
Comment lutter ?
Hélas, il n’y a pas de formule magique pour combattre le fascisme. Il faut sans doute construire au Brésil une large coalition en défense des libertés démocratiques. Il existe déjà, depuis le coup d’État qui a renversé la présidente élue Dilma Roussef en 2016, deux coalitions larges : une plus modérée, le Front Brésil Populaire, proche du Parti des Travailleurs, incluant la Centrale syndicale (CUT) et le Mouvement des paysans sans-terre (MST) ; l’autre, plus radicale, le Front Brésil sans Peur, proche du Parti du socialisme et de la liberté, incluant le Mouvement des Sans Toits (MTST) et d’autres mouvements sociaux. Ces deux fronts ont des programmes différents, mais unissent leurs forces dans le combat contre les oligarchies dominantes.
Mais il faut aussi prendre en compte que le système capitaliste, surtout en périodes de crise, produit et reproduit constamment des phénomènes comme le fascisme, les coups d’État et les régimes autoritaires. La racine de ces tendances est systémique, et l’alternative doit être radicale, c’est à dire anti-systémique. En 1938, Max Horkheimer, un des principaux penseurs de l’École de Francfort de la Théorie Critique, écrivait « si vous ne voulez pas parler du capitalisme, vous n’avez rien à dire sur le fascisme ». En d’autres termes, l’antifasciste conséquent est un anticapitaliste.
Michael Löwy