Et la « gauche de la gauche », comment réagit-elle ? Ses prises de position face à l’intervention française en Centrafrique ne sont pas sans poser question. On trouvera ici, à ce sujet, un court extrait d’un texte – beaucoup plus substantiel – de Jean Batou (« Le redéploiement de l’impérialisme français en Afrique et la sidération humanitaire de la gauche »), publié le 15 janvier 2014 sur le site de la revue Contretemps (http://www.contretemps.e…).
Trente ans plus tard, l’artiste irlandais Bob Geldof, qui avait mobilisé ses camarades contre la famine de 1984 en Ethiopie, inspirant le tube We Are the World, gère un fond d’investissement en Afrique1. A force d’avoir été répété, le processus est parfaitement rodé. Et tandis qu’un second président socialiste envoie lui aussi des troupes en Afrique, d’abord au Mali, « contre le djihadisme », puis en Centrafrique, « afin de prévenir une situation pré-génocidaire », il se trouve peu de voix au sein de la gauche française pour dénoncer son propre impérialisme, exiger le démantèlement de ses bases militaires et le départ sans délai de ses troupes d’Afrique.
Pour s’en rendre compte, il suffit de lire attentivement les communiqués relatifs à l’opération Sangaris. Dans ce concert de voix empruntées, seul le NPA appelle sans détour au retrait des troupes françaises d’Afrique2, revendication à laquelle il faudrait au moins ajouter le démantèlement des bases militaires et la dénonciation des accords léonins passés avec les dictatures du pré carré françafricain.
Droit international et situation humanitaire
Le secrétaire national du Parti de gauche, François Delapierre, n’y va pas par quatre chemins3 : d’une part, il ne conteste pas l’intervention militaire en RCA, « parce qu’elle s’inscrit pleinement dans le cadre du droit international », et que « la situation humanitaire désastreuse en Centrafrique plaide également pour une intervention » ; d’autre part, il défend l’abandon du modèle néolibéral, qui conduirait selon lui à redresser l’agriculture de ce pays, et la sortie du nucléaire, qui permettrait à la France de se passer des gisements d’uranium de ses ex-colonies (pourquoi ne pas conditionner aussi la restitution des gisements de pétrole contrôlés par Total à l’abandon du moteur à explosion ?).
Un raisonnement spécieux, puisque les paysans de Centrafrique ne pratiquent guère plus qu’une agriculture de subsistance, sans rapport direct avec le marché mondial, et que l’exploitation de la mine de Bakouma a été actuellement suspendue. A quoi peuvent servir de telles circonvolutions, si ce n’est à valider une opération militaire néocoloniale sans avoir l’air d’y toucher. Quant au PCF, sa résolution du 10 décembre émet certes une série de critiques envers l’attitude de Paris, sans pour autant condamner explicitement l’envoi de troupes, ce que ses élus ne feront pas non plus au Parlement.
ONU et Union africaine
Au sein du Front de gauche, la Gauche anticapitaliste a défendu une position propagandiste plus articulée4. Après avoir refusé l’intervention militaire en RCA et exigé « la fin du rapport de domination de la France sur ses anciennes colonies » – un objectif qui mériterait d’être décliné plus précisément – elle ajoute : « Pour faire face à la catastrophe humanitaire qui est en route, pour protéger la population des exactions et des massacres, il faut une force de paix et d’interposition internationale, sous mandat de l’ONU, de l’Union africaine, mais sans l’ancienne puissance coloniale ». Ce faisant, ne sous-estime-t-elle pas les limites de tout mandat de l’ONU, décidé de facto par son Conseil de sécurité5? Par ailleurs, un engagement conjoint de l’Union africaine permet-il d’éviter tout travers néocolonial ? Pas vraiment, dans la mesure où celle-ci reçoit les neuf dixièmes de son budget des grandes puissances et sous-traite les opérations qu’elle approuve aux dictateurs de la sous-région concernée, contre garantie d’un financement occidental…
De plus, dans le cas d’espèce, le principal Etat de l’UA, l’Afrique du Sud, peut-être en échange de compensations minières, assistait unilatéralement François Bozizé depuis plusieurs années, en encadrant sa Garde prétorienne – l’une des forces les plus redoutées des Centrafricains – avec une trentaine d’instructeurs6. Quelle portée réelle faut-il donner enfin à l’exclusion de « l’ancienne puissance coloniale » d’un tel dispositif ? Car en effet, s’il fallait confier la responsabilité de cette « force de paix » à un autre mentor, ce serait inévitablement aux Etats-Unis ou à l’Angleterre, qui n’y songent guère et disposent eux aussi d’importants intérêts dans la région.
Jean Batou
Notes
1. En 1998, trois ans après la mort de son père, il vendra la Becob, dont il contrôle 65% du capital, à François Pinault, qui cèdera par la suite ce secteur d’activités à la britannique Wolseley (Nicolas Beau et Olivier Toscer, Une imposture française, Paris, Les Arènes, 2006).
5. Lénine traitait la SDN, d’« association de forbans » (Œuvres, Paris & Moscou, Ed. Sociales et Ed. en langues étrangères, t. 31, p. 335). Comment aurait-il qualifié le Conseil de sécurité de l’ONU ?
6. Isabelle Chaperon, Le Monde, 6 septembre 2013.