Publié le Vendredi 10 septembre 2021 à 08h00.

Incendies : « La catastrophe en Grèce a été comparativement plus importante que dans n’importe quel autre pays de la région »

Retour sur les incendies dramatiques qui ont ravagé la Grèce cet été.

Le bilan de ce mois d’août désastreux, où les températures et la sécheresse ont atteint des niveaux records, même pour un pays chaud et sec comme la Grèce, est littéralement tragique : d’énormes incendies incontrôlables dans l’île d’Eubée, en Attique, dans le Péloponnèse et dans d’autres régions ont réduit en cendres quelque 600 000 hectares de terres boisées. Cette perte massive est encore plus importante pour un pays comme la Grèce, où la proximité entre les espaces verts libres et la population est la plus faible de tous les pays d’Europe.

Conséquences dramatiques

Les conséquences visibles sont déjà graves : des milliers de personnes ont perdu leur maison, tandis qu’un nombre encore plus grand a perdu son emploi (éleveurs, agriculteurs, apiculteurs, petites entreprises touristiques familiales, etc.). Mais les conséquences non visibles sont encore plus menaçantes : on sait qu’aux vagues de chaleur estivales succèdent les pluies d’automne, et lorsque cela se produit, les montagnes, dépouillées de leurs forêts, menacent les villages et les petites villes d’inondations et de glissements de terrain.

Dans le paysage méditerranéen, la disparition des forêts s’accompagne généralement de la perte de terres fertiles, car la corrosion liée aux vents et à la pluie les transforme en roche. Les grandes villes, et notamment Athènes, seront également confrontées à de graves problèmes. Lors des incendies de cette année, les derniers « poumons verts » de l’Attique ont été brûlés et les conditions de vie difficiles dans cette capitale anarchique de 5 millions d’habitantEs vont devenir encore plus difficiles, surtout pour les pauvres qui s’entassent dans les quartiers denses du centre-ville et de la banlieue ouest. Ce n’est pas une coïncidence si, depuis quelque temps, les riches abandonnent leurs résidences traditionnelles du centre-ville pour s’installer dans les banlieues nouvellement construites du nord et de la côte sud.

Panique gouvernementale

Face à cette catastrophe, le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis a réagi en panique. Il a abandonné tous les efforts pour contenir les incendies (dans l’île d’Eubée, ils ne se sont arrêtés que lorsqu’ils ont atteint la mer) et a envoyé des directives successives à la population des villages, et même des petites villes menacées, pour qu’elle évacue immédiatement. Ce « drapeau blanc » de reddition de la machine étatique est devenu si évident qu’une grande partie de la population ne s’est pas conformée aux ordres d’évacuation, malgré la menace.

Les pauvres gens, et surtout les jeunes, sans la formation adéquate ni les moyens nécessaires, sont restés sur place et ont lutté pour sauver leurs villages, leurs semblables, les animaux et leurs champs. Tout ce qui a été sauvé – y compris d’importantes parties de forêts – l’a été grâce à leur abnégation, au travail acharné des rares pompiers et des groupes de volontaires qui se sont précipités à leur secours.

Le lendemain, Kyriakos Mitsotakis a tenté de blanchir son gouvernement en mettant l’accent sur la menace de la crise climatique. Cette reconnaissance publique de la menace, bien que très tardive, est correcte : la vague de chaleur et la sécheresse prolongées de cette année ont été une expérience sans précédent, même par rapport à l’été grec chaud et sec. Mais lorsque Kyriakos Mitsotakis et les représentants du gouvernement l’affirment, c’est de la pure hypocrisie. La crise climatique n’est pas un phénomène nouveau. De nombreux rapports du service des forêts et du service des incendies ont averti le gouvernement que les conditions météorologiques prévues transformeraient les forêts de pins du centre et du sud de la Grèce en matériaux inflammables. En réalité, lorsque les politiciens de droite commencent à faire référence à la crise climatique, il ne s’agit pas seulement de la traditionnelle (et attendue) hypocrisie gouvernementale. Ils préparent le terrain idéologique pour que les projets de « reconstruction » après la catastrophe soient conformes à l’orientation néolibérale de la Nouvelle Démocratie.

Les vautours du marché

La « politique verte » de Mitsotakis revient à céder la gestion des forêts, la gestion de l’espace public, et même la gestion des catastrophes naturelles, au secteur privé et à l’entrepreneuriat.

Il y a vingt ou trente ans, ils affirmaient que la seule réponse viable à l’austérité et au chômage était de « libérer le marché» . Dans la même veine, ils affirment aujourd’hui que la seule réponse viable à la crise climatique consiste à « libérer » les efforts du capital pour des activités commerciales dans les forêts, les montagnes, les eaux, l’air. Déjà dans l’île d’Eubée, les vautours du marché sont appelés par le gouvernement à jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction de la région détruite. Parmi ces vautours, il y a les grandes entreprises de construction qui, avant les incendies de forêt, avaient déclaré leur intérêt pour la construction d’énormes « parcs d’éoliennes » dans les forêts denses du nord de l’île. Le rejet de leurs offres précédentes par le service forestier et les municipalités locales (même celles contrôlées par le parti au pouvoir) alimente maintenant les soupçons des habitantEs du nord d’Eubée sur la possibilité d’un incendie criminel organisé.

Il n’y a pas besoin de théories du complot pour comprendre que les politiques établies ont joué un rôle de pyromane. Les incendies désastreux de cet été ont pris de grandes proportions parce que la crise climatique a été accompagnée d’années d’austérité sévère et de coupes budgétaires dans le secteur public, en particulier dans la partie du secteur public qui concerne les conditions de vie des pauvres.

Le service d’incendie s’est retrouvé avec 250 (!) pompiers dans ses unités motorisées et 1 200 pompiers dans ses unités « d’infanterie », afin de couvrir les besoins de tout le pays ! Jusqu’à l’année dernière, ces corps étaient complétés par des pompiers « saisonniers » qui n’étaient pas vraiment formés. Ils étaient engagés pour l’été et étaient ensuite licenciés. Cette année, le gouvernement a refusé de renouveler l’embauche de 5 000 ­pompiers « saisonniers », malgré les avertissements sur les dangers extrêmes attendus.

Des incendies de plus en plus désastreux

En ce qui concerne les avions de lutte contre les incendies, absolument nécessaires compte tenu du relief géographique particulier de la Grèce, il n’y a que 15 avions Canadair vétustes (dont il a été prouvé que seuls 8 étaient en mesure de voler), et il n’y a que 250 pompiers correspondant à tous leurs besoins, tant à terre que dans les airs.

La réduction du personnel et des équipements de lutte contre les incendies a entraîné une augmentation considérable des effets annuels de combustion de chaque « méga-incendie » au cours des années qui ont suivi la crise économique majeure : de 2 430 hectares de terre consumés par « méga-incendie » en 2008, on a atteint 8 100 hectares pour chacun d’entre eux en 2020. Les incendies de forêt sont devenus plus désastreux en raison de la réduction des moyens et du personnel dont dispose la société pour y faire face.

Cette vérité choquante s’aggrave encore si l’on tient compte des dangers que représentent les compressions de dépenses dans d’autres secteurs pertinents : par exemple, dans le domaine du nettoyage des forêts et des zones périphériques, ou dans le domaine de l’entretien du réseau électrique, qui dans de nombreux cas est responsable du déclenchement des incendies.

Le résultat final est que, lors du « test extrême » de cette année, la catastrophe en Grèce a été comparativement plus importante que dans n’importe quel autre pays de la région. Les terres consumées par le feu ne peuvent être comparées qu’à celles de la Turquie voisine (600 000), un pays dont la taille est six fois supérieure à celle de la Grèce.