Entretien. En soutien au soulèvement en Iran, s’est constituée ici en France une coordination des groupes de gauche et féministes rassemblant plusieurs collectifs comme le collectif féministe queer et anticapitaliste auquel participe Sarah que nous avons interviewée.
Est-ce que tu peux te présenter et nous parler du collectif dont tu fais partie ?
Je suis Iranienne. Je suis arrivée en France il y a cinq ans et je fais partie du collectif féministe, queer et anticapitaliste qui s’est constitué spontanément au moment de la révolte en Iran il y a un peu plus d’un mois. Le 19 septembre dernier, trois jours après le décès de Mahsa Amini, nous nous sommes réuniEs devant l’ambassade d’Iran à Paris pour montrer notre solidarité et faire entendre la voix de nos sœurs et de nos frères dans les rues de Téhéran mais aussi au Kurdistan.
C’est donc un collectif très spontané. Peux-tu nous dire comment vous avez appris la mort de Mahsa Amini ? Quelle a été ta réaction, votre réaction ?
Il y avait très longtemps que la police de moralité avait un comportement très très violent, surtout envers les femmes mais aussi envers toute les personnes dans l’espace public. Elle contrôlait tout le temps la façon de s’habiller. Il y avait déjà beaucoup d’événements retransmis en vidéo où l’on voyait des femmes violemment arrêtées, à qui l’on ordonnait de s’habiller selon le code vestimentaire. Cette fois, il y a eu non seulement des violences mais le décès est survenu de façon claire, et la famille de Mahsa Amini s’est opposée à la version officielle des autorités. La majorité de la population ne soutient pas la police de la République islamique qui contrôle les tenues et la vie privée. La population l’a subi depuis des décennies, et la colère accumulée pendant 43 ans a explosé.
Ce sont les femmes tout d’abord qui ont exprimé leur colère et leurs revendications à disposer librement de leur corps. Au-delà de la symbolique du voile dans République islamique et du soulèvement, le mouvement s’étend au point qu’on parle de révolution…
Ce régime, c’est un ensemble de comportement répressifs, c’est une tyrannie envers les femmes, les minorités de genre, les minorités ethniques. On parle de minorités pas seulement en raison des chiffres mais parce qu’elles sont minorisées. Elles n’ont pas de place et subissent toujours une répression justifiée par la religion.
La résistance qui se met en place ici, très spontanée au début, commence à s’organiser.
Le 19 septembre, nous avons participé à un rassemblement devant l’ambassade d’Iran à Paris, puis quelques jours plus tard place des Innocents vers Châtelet, et à une action féministe à l’appel d’un groupe féministe international qui s’appelle « Feminists for Jina1 ». Il s’agissait d’une action de type performance. Ensuite, le dimanche 9 octobre, la manifestation place des Fêtes a réuni au moins 2 000 personnes. Ce qui est important, c’est que cette manifestation était à l’appel d’une coordination des groupes de gauche et féministes. Car, le même jour, à la même heure, au Trocadéro, une manifestation avait lieu pour l’Iran sur des mots d’ordre très ambigus et celle-ci a été récupérée par les royalistes et les partis de droite qui se déclarent opposants à la République islamique aujourd’hui.
Dans la résistance qui se met en place aujourd’hui en France, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne, quel est le poids et la responsabilité que vous avez pour maintenir une résistance de gauche et anticapitaliste ?
Pour nous, le slogan « Femme, vie, liberté » a quelque chose de très progressiste. Les gens qui se battent actuellement dans les rues de Téhéran donnent leur vie pour cela. On entend aussi le slogan : « Non à la tyrannie, ni roi ni leader [spirituel ou religieux] ». C’est une autre voix qui vient d’Iran qui n’a rien à voir avec ce qu’en disent les partis qui veulent la récupérer. Ces derniers se présentent comme l’alternative légitime à la République islamique en cas de victoire de la révolution en cours alors qu’ils ont des idées opposées au slogan « Femme, vie, liberté » qui est un slogan progressiste, qui cherche à rassembler des gens en faveur de l’égalité (salariale), la liberté. En plus, lors de précédents soulèvements, il y avait des mouvements syndicaux des ouvriers, des enseignants et des chauffeurs des transports en commun : une succession de luttes dans les différents secteurs en Iran. Aujourd’hui, c’est par une cause féministe que tout commence mais tous ces mouvements sont liés. Comment ce parti royaliste peut-il se déclarer l’alternative à la République islamique, lui qui a l’historique des répressions envers les travailleurs et les travailleuses et sous le régime duquel il existait une inégalité totale au sein de la population iranienne ? Les royalistes étaient contre la révolution, surtout en 1979. Pour eux, l’idée de la révolution est une idée de gauche qui va vers l’anarchie et déstabilise le pays, en aidant les séparatismes. Il y a donc nécessité à se mobiliser et à se montrer contre ce genre de parti.
C’est effrayant ! Il ne faut pas que 1979 se reproduise. À l’époque, il y avait plusieurs partis de gauche qui ont lutté pour renverser la monarchie et ensuite ce sont les islamistes qui ont récupéré le pouvoir et qui ont réprimé les partis qui avaient renversé la monarchie. Nous ne voulons pas d’une énième monarchie.
Nous qui connaissons l’histoire des soulèvements iraniens, l’histoire politique — de la révolution constitutionnelle [NDLR : en 1905] à la révolution de 1979 — ainsi que l’histoire du combat des femmes en Iran qui a plus de 170 ans, nous nous sentons responsables et engagés pour défendre nos valeurs pour qu’il n’y ait pas de marche arrière après une révolution.
Quelles sont les perspectives de la mobilisation en France ? Comment établir des liens avec l’Iran ?
Concrètement on est toujours en phase de filtration d’internet. Les IranienEs sont devenus des experts du VPN. On essaye de garder des liens avec nos camarades et nos familles. On essaie de leur transmettre des outils ; eux font des vidéos, des observations dans leurs villes et dans leurs quartiers. Il y a de nombreux réseaux qui se réunissent qui complètent ce travail d’informations en provenance de l’Iran. On essaye d’être relié à ce réseau indépendant plutôt qu’aux grands médias.
Comment on vous joint ici en France ?
Nous sommes une équipe récente et restreinte avec des moyens limités. S’il y a des personnes isolées qui cherchent un collectif défendant leurs valeurs, elles peuvent nous joindre via un groupe Facebook qui s’appelle « Coordination des groupes de gauche et féministes ». On a aussi un groupe Instagram : « leftistfeministcoord ». Elle peuvent nous contacter via ces pages ou nous suivre. Pour les actions à venir, nous avons pensé qu’il serait utile de nous identifier plus clairement et d’affirmer quels sont nos principes et nos valeurs et les mettre à la disposition des gens. Pour récolter un peu d’argent pour nos mobilisations, nous prévoyons d’organiser un événement dans un amphi et la mise en place d’une cagnotte, car pour l’instant nos financements proviennent de nos fonds personnels. On prévoit une nouvelle manifestation car c’est ici qu’on peut avoir la parole politique la plus libre, et c’est aussi un soutien pour la lutte en Iran.
Propos recueillis par Diego Moustaki
- 1. Jina est le prénom de Mahsa en kurde.