Par Jean-Claude Laumonier
Dans son intervention du 9Septembre 2012, François Hollande a fixé le calendrier de la réforme du financement de la sécurité sociale : « Tout sera décidé d’ici la fin de l’année » (2012), pour être mis en œuvre dès 2013. Ce sera l’un des piliers du plan d’austérité pour les deux ans qui viennent. Le basculement d’une partie des cotisations sociales vers la CSG (contribution sociale généralisée) sera le levier principal de cette « réforme », même si le gouvernement affirme envisager d’autres pistes. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT n’hésite pas à en formuler, sans ambigüité, l’objectif : baisser « le coût du travail ». « Je le dis de façon claire : le coût du travail est aussi un facteur de perte de compétitivité. Il faut le baisser en transférant une partie des charges sur la CSG sans toucher le pouvoir d’achat. »
S’opposer à ce nouveau pas dans la destruction de la Sécurité Sociale, commence par la réfutation de l’idéologie libérale synthétisée par ces propos.
Qu’est-ce que la CSG et d’où vient-elle ?
La contribution sociale généralisée (CSG) a été créée en 1990 par le gouvernement socialiste de Michel Rocard. Rappeler cette origine, c’est rappeler que Rocard a engagé, le premier, une contre-réforme cohérente et globale de la protection sociale. Elle touchait à la fois l’assurance maladie (par la CSG), le chômage (par le RMI) et les retraites (avec le « livre blanc » sur les retraites).
En 22 ans, la part de la CSG dans le financement de la protection sociale n’a cessé d’augmenter, sous les gouvernements successifs, de droite commede gauche. Elle atteint aujourd’hui 20 % des recettes de la « Sécu », auxquelles s’ajoutent 12,3 % d’autres taxes (tabac, alcool…), tandis que la part des cotisations sociales s’est réduite à 59,1 %.
Contrairement aux cotisations sociales qui sont directement versées aux caisses de sécurité sociale, la CSG est un impôt « pré-affecté », c’est-à-dire prélevé par l’Etat, mais obligatoirement utilisé pour financer la « Sécu ». Son taux s’élève à 7,5 % pour les salaires (incluant les primes), il varie de 0à 6,6 % pour les revenus de remplacements (retraites, allocations chômage…), est de 8,2 % pour les revenus des placements financiers et du patrimoine immobilier (mais les profits des entreprises ne sont pas mis à contribution !) et de 9,5 % pour les revenus des jeux.
Cette diversification des sources de financement cherche à créer l’illusion d’un impôt « juste », équitablement réparti entre tous et ne reposant pas uniquement sur « les salaires ». La réalité est toute autre. Selon le rapport de juillet 2012 de la Commission des comptes de la sécurité sociale, les revenus d’activité (salaires) constituent 70,2 % des recettes de la CSG, les revenus de remplacement (retraites…) 17,2 %, tandis que les revenus du capital (immobilier et financier) contribuent seulement à hauteur de 11,3 %. Dans la réalité, la CSG est donc payée à près de 80 % par les salariés actifs, retraités et chômeurs.
TVA « sociale » et CSG, les deux faces d’une même politique
Transformer les cotisations sociales en CSG, c’est donc transférer une part des cotisations sociales (payées par les employeurs) en un impôt payé pour l’essentiel par les salariés. Tel est bien le sens fondamental de la réforme envisagée par Hollande et son gouvernement pour « baisser le coût du travail », au nom de la « compétitivité » de « nos » entreprises.
Le PS poursuit ainsi le même but que Sarkozy et le Medef avec la TVA dite « sociale », abrogée par la nouvelle majorité. Si l’outil fiscal change, la dynamique de la CSG est la même quant à la répartition des richesses entre salaires et profits. La baisse des cotisations sociales, c’est une baisse d’une partie du salaire, de sa part « socialisée » (c’est-à-dire mise en commun) et en conséquence, une hausse équivalente de la part de travail gratuit que s’approprient les employeurs, sous forme de profits.
Le tour de passe-passe du discours libéral consiste à masquer cette nature salariale des cotisations sociales. C’est pourquoi il parle de « baisse du coût du travail », au lieu de dire plus prosaïquement « baisse des salaires », et de « charges sociales » au lieu de « cotisations sociales », élément du salaire. L’enjeu de classe de la répartition des richesses entre salaires et profits est ainsi escamoté.
Du point de vue patronal, les cotisations sociales sont effectivement une « charge », comme l’est l’ensemble du salaire. Pour le salarié, elles sont au contraire un élément de son salaire, qui finance quand il (elle) en a besoin, ses soins, ses indemnités journalières en cas de maladie ou de maternité, sa retraite, qui contribue à l’éducation de ses enfants (allocations familiales) et indemnise le chômage
Prétendre comme le fait Chérèque qu’on peut diminuer le salaire socialisé « sans toucher le pouvoir d’achat » est une contre-vérité, que chaque salarié peut vérifier. Dans la logique libérale la baisse des cotisations sociales peut être compensée seulement de deux manières: soit par d’autres recettes sous forme d’impôts reposant essentiellement sur les salariés, tel que la CSG, la TVA ou d’autres taxes (Hollande a évoqué une « taxe écologique » !), qui dans tous les cas conduisent à une baisse du pouvoir d’achat des classes populaires ; soit par une baisse des dépenses se traduisant par moins de prestations sociales. On a alors une autre forme de ponction sur le pouvoir d’achat, puisque le salarié doit payer davantage de sa poche ses soins ou ses médicaments, en s’offrant, s’il le peut, une complémentaire santé ou retraite de plus en plus chère.
S’il n’en a pas les moyens, il devra renoncer à la satisfaction de besoins essentiels pour lui et sa famille et s’enfoncera dans la précarité. Dans les deux cas, la réduction des cotisations sociales aboutit dans la réalité à une baisse du pouvoir d’achat, et de la possibilité de satisfaire des besoins essentiels.1
Le gouvernement Ayrault a l’intention d’utiliser ces deux leviers à la fois. Il se situe dans une perspective de réduction des dépenses de protection sociale au nom de la réduction des déficits publics. Les conséquences en sont connues : maintien des « franchises » médicales, « encadrement » et non interdiction des dépassements d’honoraire, nouvelles économies pour 2013 sur le service public hospitalier, tandis qu’une nouvelle attaque sur les retraites est d’ores et déjà annoncée pour l’année prochaine.
Simultanément, avec l’augmentation de la CSG, les salariés et les retraités devront payer plus… pour financer cette sécurité sociale au rabais, qu’ils devront compléter par des assurances santé ou des retraites complémentaires.
Les seuls gagnants de l’opération seront les patrons qui s’exonéreront toujours plus du financement de la sécurité sociale. Ils ont déjà obtenu, pour « défendre l’emploi » (avec les résultats que l’on sait), 30 milliards d’exonération annuelle de cotisations sociales. Leur cible est, à terme, les 315 milliards d’euros (un cinquième de la richesse produite en France) de cotisations de sécurité sociale ainsi que les 80 milliards de cotisations chômage dont ils espèrent s’affranchir.
Ne pas laisser faire ce hold-up sur la part socialisée du salaire est un enjeu décisif pour le mouvement ouvrier.
Le piège du « diagnostic partagé » et du « dialogue social »
Le gouvernement vient de mettre en place un «Haut-conseil pour le financement de la protection sociale». Cet outil du «dialogue social» vise à paralyser la réaction du mouvement syndical en l’enlisant dans d’interminables débats à froid, et en retardant ainsi toute possibilité de mobilisation.
Comme l’a annoncé le premier ministre, le Haut-conseil aura pour première tâche d’établir un «diagnostic partagé» sur la nécessité de nouveaux financements pour la Sécu. L’augmentation des cotisations patronales en sera d’emblée exclue au nom de la défense de l’emploi et de la compétitivité des entreprises. L’objectif poursuivi dans cette négociation n’est autre que de faire accepter aux organisations syndicales la baisse des salaires (incluant les cotisations sociales) et la précarité (affaiblissement de la protection sociale) au nom de la sauvegarde de l’emploi. L’expérience des trente dernières années montre suffisamment qu’il s’agit d’un leurre dans lequel le mouvement syndical et les salariés ont tout à perdre.
Dans cette opération, le gouvernement sait qu’il peut compter sur le soutien zélé de la direction de la CFDT.
Le risque est de voir le reste du mouvement syndical, à l’origine opposé à la CSG, cautionner l’idée d’une nécessaire réforme du financement, même s’il est en désaccord avec les solutions gouvernementales. C’est un débat qui traverse aujourd’hui tant la CGT que la FSU et Solidaires.
Pour nous, la seule position cohérente face à la contre-réforme est le retour au financement intégral de la sécurité sociale par des cotisations, c’est-à-dire par le salaire socialisé. Abandonner ce point de vue est mettre le doigt dans un engrenage dangereux. C’est croire que l’on pourrait laisser le patronat réussir sa mainmise sur les cotisations sociales, et reconquérir par d’hypothétiques autres moyens (« taxation des profits ») le terrain que l’on aura abandonné.
Ce débat nécessaire n’empêche pas la recherche d’un accord entre les composantes de la gauche sociale et politique décidées à combattre la contre-réforme, car l’urgence est à la mobilisation, sans préalable, la plus rapide et la plus unitaire possible pour mettre en échec les projets patronaux et gouvernementaux.
1. Nous ne revenons pas ici sur la distinction entre cotisations dites « patronales » et cotisations dites « salariales ». Dans la réalité, ce sont les patrons qui paient l’ensemble des cotisations sociales. La cotisation dite « salariale » est un artifice permettant de compenser la hausse des cotisations sociales par une baisse parallèle du salaire net. Transformer les cotisations « salariales » en CSG est une opération neutre au moment ou elle est effectuée, mais elle permet de justifier en même temps une baisse des cotisations « patronales », et dans la durée d’exonérer définitivement les patrons du financement de la protection sociale. C’est pourquoi il faut rejeter la notion même de « salaire brut » et de cotisations dites « salariales ». Les cotisations sociales ne sont en fait que des cotisations « patronales » s’ajoutant au « salaire net ».