Dans le cadre de l’élaboration du budget 2025, Barnier a demandé début octobre un effort de 5 milliards d’euros1 aux collectivités territoriales, entraînant une levée de boucliers bien légitime. Il faut dire qu’avec les différentes lois de décentralisation, les collectivités territoriales se sont retrouvées, aux différents échelons, avec de plus en plus de compétences.
Les régions sont cheffes de file sur la compétence « mobilités ». Elles assurent la gestion des ports et aéroports, des trains express régionaux, des transports routiers scolaires et interurbains… Côté éducation et formation, elles gèrent les lycées ainsi que la formation professionnelle. Elles ont également des compétences sur les questions environnementales et d’aménagement du territoire à l’échelle régionale : gestion des déchets, des parcs naturels régionaux, des zones Natura 2000, développement rural et urbain, plan régional pour la qualité de l’air… Avec le SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), elles définissent des objectifs liés à l’équilibre et à l’équité entre les territoires, à l’implantation des infrastructures d’intérêt régional, au désenclavement des zones rurales, à l’habitat, à l’utilisation rationnelle de l’espace, ainsi qu’à l’intermodalité et au développement des transports. Enfin, elles ont la main sur le développement économique ainsi que sur la gestion des programmes européens.
Parmi d’autres compétences, les départements, quant à eux, assument les politiques de solidarités. Plus de la moitié de leur budget de fonctionnement permet d’assurer leurs politiques d’action sociale, notamment le RSA, l’AAH, l’aide sociale à l’enfance, la protection maternelle et infantile, ou encore les maisons départementales des personnes handicapées. Ils assurent aussi la construction, l’entretien et l’équipement des collèges ainsi que les personnels ATOSS. Ils gèrent le réseau routier départemental suite aux vagues de transfert du réseau routier national.
Enfin, en fonction de leur taille, les métropoles et intercommunalités interviennent sur l’aménagement de leur territoire et l’urbanisme, le développement économique, la voirie et les mobilités, la gestion d’équipements culturels ou sportifs, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, l’assainissement, la collecte des déchets, etc.
L’investissement public en France est porté ainsi majoritairement par les collectivités. Selon le dernier rapport de l’inspection générale des finances2, leur part était de 58 % en 2022. Le montant total qu’elles ont investi cette même année atteint 54 milliards d’euros. Le même rapport estime par ailleurs que les collectivités devront dégager 21 milliards d’euros chaque année d’ici à 2030 pour réussir la transition écologique.
Principales locomotives de la commande publique, elles ont investi3 près de 5 milliards d’euros dans la construction ou la rénovation de bâtiments publics, près de 4 milliards d’euros dans l’entretien de la voirie, le développement des infrastructures de transport et les mobilités, plus de 3 milliards dans l’eau et l’assainissement… Ce sont ces investissements qui font vivre le secteur des travaux publics. Elles sont aussi parmi les principales sources de financement des associations, notamment dans le secteur culturel, et les subventions permettent à ces dernières de survivre, de payer des salarié·es, ou d’organiser des évènements.
Enfin, la fonction publique territoriale emploie à ce jour 1,94 million d’agents4, soit 34 % de l’emploi public. Les collectivités représentent ainsi souvent l’employeur le plus important (ou l’un des plus importants) d’un territoire donné, en particulier dans les villes moyennes et les départements ruraux.
Des coupes franches dans les budgets des collectivités
Comme on le voit, toute coupe franche dans ces budgets aura des conséquences graves. La cure d’austérité imposée par Hollande en 2014 a ainsi ralenti la croissance. Une note de la Fondation Jean Jaurès5 estime d’ores et déjà que l’investissement local devrait chuter de 12 milliards d’euros, soit une diminution de – 16 % par rapport à 2023, avec toutes les conséquences en chaîne que l’on peut imaginer sur les bassins d’emplois locaux.
Les conséquences du sous-financement des collectivités se font déjà sentir. En 2023, 14 départements n’ont pas pu boucler leur budget6. En 2024, la question se pose pour une quarantaine d’entre eux6 et en 2025, ce sera 2 départements sur 3 qui seront dans cette situation7.
Les régions non plus ne seront pas épargnées : une perte de 50 millions pour la Bretagne ; une baisse de 60 à 70 millions pour le Centre-Val de Loire ou encore une chute de 187 millions d’euros pour l’Occitanie8. Le Conseil régional des Hauts-de-France de Xavier Bertrand s’est même déclaré incapable d’adopter son budget9.
Face à ces annonces, les élus se sont révoltés. Ils ont fermé leur mairie dans l’agglomération de Muret (Haute-Garonne)10, ils ont fait des happenings comme dans la Nièvre11 et ils ont interpellé le gouvernement lors des Assises des Départements de France12 ou lors du congrès des Maires de France13. Certains présidents de départements de droite n’ont pas hésité à montrer leur abjection en menaçant de ne plus verser le RSA et de ne plus accueillir les mineurs isolés14. Le budget adopté au Sénat a tenu compte de cette grogne puisqu’il a réduit les coupes de 5 à 2 milliards15.
Des élu·es qui pronent l’austérité
Néanmoins, l’application de cette politique d’austérité est l’occasion pour certains élus d’aller plus loin encore dans le dogme de la réduction de la dépense publique. L’exemple le plus frappant est celui de Christelle Morançais, présidente Horizons de la région Pays de la Loire. Elle va plus loin que les 38 millions demandés puisqu’elle programme une effroyable cure d’austérité de 100 à 150 millions d’euros16. À la clé, une centaine de suppressions de postes17 et notamment une coupe de 64 % pour les actions qui relèvent de la commission culture, sport, associations. Trumpiste dans l’âme, elle assume s’en prendre à la « culture subventionnée », sous-entendu de gauche18. Elle va définancer ainsi (entre autres) la Maison Julien Gracq, les Pôles Spectacle Vivant et Cinéma Audiovisuel des Pays de la Loire…
Mais ces attaques ne se limitent pas au secteur de la culture. Et rien n’illustre aussi clairement ce qu’est la droite au pouvoir que le fait que l’Abbaye royale de Fontevraud sera épargnée par les coupes budgétaires là où le Planning familial et les CIDFF19 perdront l’intégralité de leurs subventions.
Le 25 novembre, 3 000 personnes issues du secteur culturel ont manifesté devant l’hôtel de région à Nantes pour protester. Ils étaient également 3 000 à Toulouse mardi 26 novembre contre les coupes budgétaires au conseil départemental de Haute-Garonne20, dirigé par le PS et la gauche unie. La casse sociale liée aux budgets d’austérité dans les territoires peut justement être l’occasion à saisir pour construire un mouvement d’ensemble contre l’austérité, unifiant les agents des collectivités, les salarié·es du secteur culturel et associatif, et la population, les usagers concernés, en défense du service public.
- 1. Montant qui pourrait atteindre les 10 milliards en additionnant toutes les baisses de dotation et prélèvements annoncés selon Fabien Jannic-Cherbonnel, « La détresse sociale va augmenter » : face aux coupes budgétaires, les collectivités locales se préparent à des choix douloureux, France info, 26 novembre 2024.
- 2. Inspection générale des finances, Investissement des collectivités territoriales. Site : igf.finances.gouv.fr, 4 septembre 2024.
- 3. Intercommunalités de France, Baromètre trimestriel de la commande publique, Premier semestre 2022 : activité et perspectives. Site : intercommunalites.fr, 29 novembre 2024.
- 4. Ministère de la transformation de la fonction publique, Fonction publique, chiffres clés 2023.
- 5. Simon-Pierre Sengayrac et Johan Theuret, Collectivités territoriales : une chute de 12 milliards d’euros de l’investissement local à prévoir en 2025. Fondation Jean Jaurès, 19 novembre 2024.
- 6. Idem
- 7. Ibidem.
- 8. Gil Martin, « Occitanie : avec 187 M€ en moins, Carole Delga va ’réduire le train’ de la Région ». Site actu.fr, 15 novembre 2024.
- 9. « Baisse des dotations de l’État : le conseil régional des Hauts-de-France se prépare à une sévère cure d’austérité ». La Voix du nord, novembre 2024.
- 10. Corinne Carrière, « Il est temps de réagir, il faut savoir dire stop ! : les maires se révoltent contre les coupes budgétaires du gouvernement ». France 3-Régions, 31 octobre 2024.
- 11. Jean-Mathias Joly, « Des conseillers départementaux de la Nièvre se déshabillent à Poil pour dénoncer les restrictions budgétaires ». La République du Centre, 21 novembre 2024.
- 12. RFI, « Michel Barnier prêt à réduire ’très significativement’ les efforts budgétaires demandés aux départements », rfi.fr, 15 novembre 2024.
- 13. Anne Daubrée, « Le Congrès des maires dominé par les enjeux budgétaires ». La Gazette de Normandie, 28 novembre 2024.
- 14. Le Monde avec AFP, « Budget 2025 : les départements dirigés par la droite menacent de suspendre le versement du RSA ». Le Monde, 14 novembre 2024.
- 15. OC avec AFP, « Budget des collectivités: le Sénat met des bâtons dans les roues du gouvernement ». site bfm.tv, 3à novembre 2024.
- 16. Thibault Dumas, « La liste des coupes budgétaires de la région Pays de la Loire ». Site mediacites.fr, 28 novembre 2024.
- 17. Thibault Dumas (Mediacités), « C’est du grand n’importe quoi : à la région Pays de la Loire, les coupes budgétaires annoncées suscitent le malaise ». Médiapart, 29 novembre 2024.
- 18. Christelle Morançais, tweet sur x.com (ex-twitter), 12 novembre 2024.
- 19. Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles.
- 20. Clément Méténier, Entre 1 700 et 3 000 personnes mobilisées à Toulouse contre les coupes budgétaires du département de la Haute-Garonne. Site francebleu.fr, 26 novembre 2024.