Au 1er mars 2020, selon l’administration pénitentiaire, il y avait en France 72 400 personnes incarcérées, hommes, femmes et mineurs, un record absolu. Avec toutes les conséquences de la surpopulation, principalement en maisons d’arrêt où bien trop souvent 3 personnes s’entassent dans un peu moins de 9 m2, comme à Gradignan, l’un des 3 dormant sur un matelas au sol (malgré les condamnations récurrentes de la Cour européenne envers la France)…
Une contamination sous-estimée
Le Covid est apparu, sonnant la fin des activités : plus de travail en atelier ni d’école et suppression des parloirs et des liens familiaux tant vantés pour éviter la récidive.
Les familles ne peuvent plus rentrer pour les raisons d’hygiène sanitaire que tout le monde connait, mais les surveillants, eux, rentrent 3 fois par jour à chacune de leurs vacations de 8 heures. Il ne s’agit pas de prêcher pour qu’ils abandonnent purement et simplement leur travail, mais de souligner le deux poids deux mesures.
Le gel hydroalcoolique est accessible aux surveillants, interdit aux détenus, puisque l’alcool est interdit, même si selon certains règlements internes, il y a des exceptions.
Quant aux masques, inutile d’y songer pour les incarcérés. Même si à Val-de-Reuil (dans l’Eure), un atelier a repris pour fabriquer ces protections, les taulards en sont privés.
Pour ceux qui vont profiter de la promenade quotidienne d’environ 1 heure ou biquotidienne, lorsqu’il pleut, tous se réfugient sous le préau lorsqu’il y en a un. À Gradignan, une centaine d’hommes se serrent alors dans autant de mètres carrés. À la maison d’arrêt de Saintes, le « préau » est fait d’une tôle de 2 m2. Alors, les promeneurs s’agglutinent le long du mur le moins exposé à la direction de la pluie.
Selon l’administration, sur environ 30 000 personnes évoluant en milieu fermé au 15 avril, 114 personnes étaient touchées ; sur les détenus, 62 000 à la même date dont 48 déclaréEs positifs…
J’en tire une statistique personnelle. Soit les détenus sont 4 fois plus résistants au virus, soit ils sont 4 fois moins identifiés.
Toujours autant de surpopulation
En 30 ans, la population française a augmenté de 30 %, la population carcérale de 100 %.
Ceci malgré les plans successifs de construction de nouvelles prisons de 1992 à 2007, chacune de ces constructions vendues pour LA solution à la surpopulation. À chaque étape, toujours 5 à 10 000 détenus excédant les capacités « d’accueil ». Plus on construit, plus on remplit ?
Nous sommes passés de 72 400 détenus le 1er mars à 62 000 au 15 avril. Car les détenus en fin de peine ont reçu des grâces, souvent de 2 mois, abrégeant d’autant leur enfermement. D’autre part, ceux qui sont en attente de jugement le voient reporté. Enfin, les tribunaux fonctionnant au ralenti, il y a moins de jugements en comparution immédiate (où les « chances » de se voir prononcer du ferme sont 7 fois plus élevées, selon le Syndicat de la magistrature).
De 72 000 à 62 000 un mois et demi plus tard, est-il possible de réduire l’incarcération ?
La tolérance zéro, le tout carcéral est-il la solution ?
De l’utilité des prisons ?
S’il semble difficile d’imaginer nos sociétés exemptes de modes punitifs, punir est un constat d’échec, lorsque l’on ne s’est pas donné les moyens sociaux de tirer les plus fragiles vers le haut.
C’est bien la fracture sociale qui est la cause de délinquances ordinaires. C’est bien la délinquance financière, accaparatrice, remplissant les comptes des plus riches ou des moins nécessiteux, comme on voudra, qui exclut du manège les moins bien lotis.
Ceux-là, d’en bas, se contentent de le regarder tourner. Impossible de leur reprocher de vouloir y monter, à l’aune d’un partage qu’on leur refuse.