Bien que le gouvernement ait appelé à « arrêter la grève » le 12 janvier dernier après avoir soi-disant retiré l’âge pivot, la mobilisation contre la retraite à points n’en finit pas de durer, se développer et prendre différentes formes.
Même si la grève reconductible n’est plus aussi importante à la SNCF et à la RATP depuis le 20 janvier, la mobilisation contre la réforme des retraites est loin d’être terminée. Elle se développe sous diverses formes dans de très nombreux secteurs et la journée de grève et de manifestations du 24 janvier à montré, que le baroud d’honneur attendu, était loin d’être à l’ordre du jour. Bien au contraire. Même si cette nouvelle journée a été moins importante que le 5 et 17 décembre, elle a été beaucoup plus importante que celle du 16 janvier et cela dans tout le pays. Encore une fois, les cheminotEs, les enseignantEs, les salariéEs de la RATP y étaient très nombreux comme celles et ceux de la culture, de l’énergie, de la Fonction Publique ou les avocatEs. Mais aussi, cette fois, beaucoup de jeunes et une visibilité d’entreprises du privé plus importante.
Un gouvernement en grande difficulté
Décidemment rien n’y fait. Ils ont beau aller sur tous les plateaux médias existants pour vendre leur soupe de « justice sociale », nous faire le « remake » de Chirac en Palestine, nous faire la morale sur la démocratie… le rejet de cette « contre-réforme » est de plus en plus massif. En effet, plus de 60 % de la population, avec ou sans âge pivot, souhaite le retrait pur et simple de ce projet. Alors que cette réforme est complexe, technique, la majorité de la population a bien compris qu’au bout du bout, tout le monde serait perdant. Et ce n’est pas la présentation de l’avant-projet de loi et de son étude d’impact annexée qui risque de faire changer les choses puisque la projection de l’âge d’équilibre est fixée à 65 ans (mais pourra être plus tardif pour les générations futures) et pour celles et ceux qui partiront avant, le malus sera de 8 % et non plus de 5 % comme annoncé. Enfin la « règle d’or » des 13,8 % du PIB alloués pour les pensions baissera dans les années à venir.
Mais apparemment les travailleuses et travailleurs ne sont pas les seulEs à désavouer le gouvernement. Même le conseil d’État s’y met en critiquant ce projet de loi sur différents points : « des projections financières douteuses », un recours ultérieur à des dizaines d’ordonnances non encore écrites ; une universalité et une égalité de traitement qui n’existent pas puisqu’il prévoit cinq régimes différents et de nombreuses règles dérogatoires dans ces cinq régimes. De plus, concernant la revalorisation des salaires des enseignantEs, le Conseil d’État rappelle que la loi ne peut pas prévoir des dispositions qui seraient adoptées ultérieurement, dans une autre loi, et il indique aussi que le projet ne peut pas prévoir de subventionner la Caisse de retraite complémentaire des navigants. Dommage car c’était deux secteurs d’activités que le gouvernement espérait se mettre dans la poche.
Cerise sur le gâteau, l’ARRCO-AGIRC vient de calculer que la retraite à points, avec l’arrêt des cotisations des hauts salaires, va générer un déséquilibre de 3,7 milliards annuel pendant 15 ans. Il faudra en effet continuer à payer des pensions élevées pour des cadres retraitéEs, alors qu’une part des cotisations des cadres actifs ne sera plus perçue.
Le gouvernement ne convainc pas les salariéEs du pays, ni le conseil d’État et, surprise, il ne convainc pas non plus la « grande muette ». En effet, le Conseil supérieur de la fonction militaire, organisme très officiel de concertation avec le Ministère des armées, vient de publier une lettre catégorique où il déclare tout bonnement ne pas pouvoir donner un avis favorable au projet puisque selon lui « certaines dispositions fragilisent notre modèle d’armée et la condition militaire ». Il pointe notamment « les modalités de calcul de la pension militaire qui suivraient le régime de droit commun, qui est d’encourager les salariés à poursuivre leur activité » et avec la retraite à points, certains militaires risquent de perdre jusqu’à 20 % sur leurs pensions.
Les embuches pour Macron et les siens se multiplient donc et c’est tant mieux.
De la colère générale à la grève générale ?
Même si la grève reconductible engagée par les salariéEs de la RATP et les cheminotEs n’a pas réussi à s’étendre à d’autres secteurs pour bloquer le pays, de nombreux, très nombreux secteurs, ces derniers jours, s’opposent à cette réforme, de façon souvent inédite mais très déterminée et désormais plus un jour ne se passe sans actions, blocages, coupures de courants. C’est sans doute l’un de secteurs qu’on avait peu vu dans une mobilisation globale ces dernières années, et pourtant les avocatEs sont bel et bien là et très remontéEs contre le projet de contre-réforme. Ils participent massivement aux manifestations, mais aussi organisent des « jets de robes » dont la Ministre de la justice a elle-même fait les frais ; dansent des « haka » de la contestation et font grève depuis plus de trois semaines. Suite à la rencontre avec le Premier ministre, ils viennent d’annoncer la continuation de la grève et une manifestation nationale le 3 février prochain.
Ces derniers jours, la mobilisation prend une tournure nouvelle, un second souffle. On voit se développer dans de nombreux secteurs les jets d’outils, de blouses, d’instruments de travail ; de nombreuses flash mob avec en particulier celles de groupes de femmes habillées en « Rosie the riveter » en chantant une chanson détournée par l’association ATTAC « À cause de Macron », mais aussi les blocages comme ceux du Louvre ou de la BNF ; les coupures de courant… Sans oublier les nombreuses « retraites aux flambeaux », notamment le 23 janvier où plus de 150 manifestations de nuits contre les retraites en lambeaux se sont déroulées sur tout le territoire rassemblant des centaines dizaines ? de milliers de personnes.
C’est dans ce contexte que se multiplient également des actions contre les membres du gouvernement, de la majorité et même contre le premier d’entre eux. En effet, depuis quelques semaines, aucun ministre, aucunE députéE LREM ne peut participer à une inauguration, présenter ses vœux, entamer sa campagne municipale sans qu’un comité d’accueil soit présent. Obligeant ainsi certains ministres à annuler purement et simplement leurs vœux comme l’a fait Franck Riester, le Ministre de la culture. Macron lui-même n’est plus en « paix » puisqu’il a dû fuir le théâtre des Bouffes du Nord le 18 janvier dernier où plusieurs dizaines d’opposantEs à sa réforme s’étaient rassembléEs. Face à ces nouvelles formes de mobilisation, de luttes, le gouvernement essaye de faire peur en parlant « de radicalisation » de la mobilisation mais une fois encore sans aucun succès.
Ces nouvelles formes de mobilisations montrent, sans aucun doute, le rejet massif de ce projet et du gouvernement mais ne sera pas suffisant pour faire reculer ce gouvernement. La construction de la grève générale est plus que jamais d’actualité. La réussite du 24 janvier a redonné confiance à de nombreux secteurs et de plus en plus de salariéEs ont conscience que le pouvoir peut être déstabilisé mais à condition de relancer la grève de masse, reconductible, dont nous avons besoin pour gagner.
Et maintenant ?
Le sort du mouvement n’est pas scellé, loin de là. Plus de cinquante jours après son démarrage, on en ignore encore l’issue. Mais force est de constater qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’isolement du gouvernement, le rejet majoritaire de la réforme et la mobilisation des centaines de milliers de salariéEs n’a pas encore crée le rapport de force suffisant pour faire céder Macron. Mais, dans le prolongement des Gilets Jaunes, il fait vaciller le pouvoir tant institutionnel que financier. C’est ce qui explique les atermoiements qui se font jour du côté du gouvernement et de certaines déclarations contradictoires de membres de la majorité présidentielle. La violence et l’impunité policières accrues, s’inscrivent aussi dans cette logique.
L’enjeu des semaines à venir est d’entretenir et approfondir l’isolement politique du gouvernement, par de nombreuses actions spectaculaires, des blocages, des manifestations, occupant le maximum d’espace politique ; et de propager de façon la plus unitaire possible les solutions indispensables pour en finir avec Macron et son monde. Mais aussi, garder l’objectif de la grève reconductible générale car c’est la seule solution pour que Macron recule. Le fait est que pour gagner, il s’agit d’étendre la grève, d’étendre le mouvement et la mobilisation à celles et ceux qui n’y sont pas encore. Il faut continuer de construire à la base, pour organiser des tournées interprofessionnelles sur tous les lieux de travail, se donner les moyens d’aller convaincre tout le monde dans le privé comme dans le public.
Alors que jusqu’à présent, l’intersyndicale interprofessionnelle avait plus ou moins bien joué son rôle moteur (sauf pendant les congés de Noël) de la mobilisation avec des appels à la grève, aux actions et aux manifestations, le dernier appel au mercredi 29 janvier est loin très loin d’être à la hauteur. En effet, choisir un mercredi, c’est pour le coup mettre en dehors de la grève un des secteurs les plus dynamiques de ces derniers jours : l’Éducation nationale. De plus, ne pas manifester et être en grève le jour de la conférence de financement de la CFDT, participer à cette conférence, c’est laisser penser que cette commission est d’importance alors que nous savons qu’elle ne pourra que remettre en selle « l’âge pivot à 64 ans » forçant à partir en retraite deux ans plus tard, ou allonger le nombre d’années travaillées nécessaire pour partir à la retraite.
Nous devons également, ces prochains jours, continuer à amplifier la politisation de cette lutte. Dans cette mobilisation de nombreux sujets sont abordés, discutés, comme comment améliorer le système par répartition actuel ? Comment partager le temps de travail pour permettre à toutes et tous de travailler ? Comment redistribuer les richesses ? Il y a une volonté d’en finir avec les injustices, la misère et une aspiration grandissante à une reprise en main de nos vies. C’est donc bien une conscience de lutte globale contre le système qui bouillonne dans le creuset de cette mobilisation. Il permet de poser la question d’un autre projet de société à une échelle de masse.