Entretien. Créée en juillet 2022, l’association Handi-moi Tout occupe aujourd’hui une place incontournable dans la cuvette grenobloise. Collectif rassemblant des personnes en situation de handicaps visibles ou invisibles, ouvert aux familles, aux professionnels du secteur médico-social du handicap et aux valides, parce que certains handicaps peuvent « tomber sur n’importe qui ». Rencontre avec plusieurs membres de cette association dynamique qui commence à secouer les institutions locales et à bousculer différents acteurs du mouvement social.
Pourquoi cette association ?
C’est un lieu d’amitiés, de partages, de réflexions entre des personnes quels que soient leurs handicaps, une sorte de famille avec une force commune. Car l’énergie pour vivre qu’il te faut quand tu es handi est incroyable, il faut se battre sur tous les terrains, tous les jours : les ascenseurs en panne qui te laissent isoléE dans ton appartement pendant plusieurs jours, le fauteuil cassé qui ne sera remplacé que dans quelques mois et en attendant tu es immobiliséE complet, les guichets des administrations trop hauts, inaccessibles, la difficulté à être compris quand tu as des problèmes d’élocution…
On veut sortir des galères individuelles et changer les choses en s’organisant. Riches de nos expériences, on partage nos colères, nos peurs mais surtout notre volonté d’agir. Avec Handi-moi Tout, on est solidaires quand l’unE d’entre nous traverse un mauvais moment, et on s’entraide pour s’engager parce que parfois c’est compliqué. On espère changer le rapport de forces.
Avez-vous des revendications ?
Plein. L’une des plus importantes est peut-être la reconnaissance de notre dignité, de notre parole, de notre droit à l’information et à la décision quand il s’agit de nos vies ! Certaines maladies non visibles mais très invalidantes sont encore assez mal connues dans le milieu médical, quand les personnes parlent de leurs souffrances, elles ne sont pas toujours entendues et parfois même culpabilisées. Et puis on ne veut pas être réduit à un « modèle standard de handicapé »… ça n’existe pas. Nous sommes touTEs différentEs comme le sont les valides. Le respect, ce serait aussi la fin des violences exercées contre nous toustes et particulièrement sur les femmes et les enfants handicapéEs qui sont deux fois plus violentéEs que les autres, dans la famille, la rue mais aussi dans les institutions chargées de les accompagner.
Les personnes en situation de handicaps, 18 % de la population française, ne sont pas représentées dans les institutions, peu d’entre elles sont conseillers municipaux et seuls trois députés siègent à l’Assemblée nationale. Notre situation n’est pas un sujet dans les programmes et les discours électoraux. Le seul qui en ait clairement parlé lors de la présidentielle, c’est Zemmour… pour dire qu’il fallait séparer les enfants handicapés des autres parce que ça faisait baisser le niveau !
On réclame nos droits, ceux à l’accessibilité des logements sociaux, des trottoirs, des commerces, des centres culturels, des services publics et des administrations… On rencontre la mairie, les bailleurs sociaux, les services sociaux. On se bat aussi pour une augmentation de l’AAH (allocation adulte handicapé), revalorisée à 971,37 euros pour une personne seule, c’est-à-dire toujours nettement au-dessous du SMIC. Quant à espérer une retraite correcte, faut pas rêver c’est le minimum vieillesse pour touTEs ! Pour un accès à l’éducation des enfants en situation de handicap, car seuls 10 % d’entre eux sont scolariséEs. On veut une éducation de qualité, inclusive, avec du personnel formé, traité et salarié correctement. Un réel droit au travail aussi, aujourd’hui 20 % d’entre nous sont au chômage (7,5 % en moyenne pour l’ensemble de la population active, selon l’Insee), les patrons du privé doivent embaucher 3 % de personnes handicapées et 6 % dans le public, sinon, ils sont condamnés à payer une amende, bien trop faible pour être incitative !
Vous vous battez seulEs ?
Non, les handicapéEs ont les mêmes problèmes que notre classe dans la société mais multipliés par 1 000 ! On est même au carrefour des problèmes, c’est pour cela qu’on est très concernéEs par les luttes et leur convergence. Des exemples ? On a été dans toute la lutte contre la réforme des retraites de Macron avec les salariéEs et les syndicats, sur les actions dans la santé en général et sur la psychiatrie en particulier avec les personnels de santé. Sur les questions du mal-logement notamment sur les ascenseurs, mais aussi contre l’augmentation des charges et des loyers, le manque d’entretien et le manque de logements sociaux adaptés avec le DAL. Nous manifestons régulièrement avec les travailleurEs sociaux pour les soutenir mais aussi parce qu’on a besoin qu’ils soient en quantité suffisante et avec des métiers non dévalorisés. Ou contre la loi Darmanin parce qu’être handi et migrant c’est vraiment impossible. Et bien sûr contre les violences faites aux femmes. Pour la gratuité de nos biens communs aussi. On a besoin des valides parce qu’on est fragiles dans cette société et ils ont besoin de nous, avec notre richesse d’oppriméEs en résistance contre le capitalisme.
Sinon, on fait de l’autoformation ouverte, autour de la question du lien entre capitalisme et validisme notamment. Des syndicats, des associations ou des partis nous demandent de venir parler de l’antivalidisme. C’est enrichissant pour tout le monde.
De temps en temps, on fait une soirée ciné-débat, on est toujours très nombreux. La prochaine est le 25 mai, autour du film La Sociale de Gilles Perret.
Une lutte vous a-t-elle marquéEs en particulier ?
Oui, celle de la trentaine de femmes de ménage (et quelques hommes) en grève chez Elior Derichemont. Une douzaine d’entre elles et eux venaient d’apprendre leurs mutations d’office au CHU et dans les Ehpad locaux. Mais leur travail consiste à effectuer le nettoyage des bureaux des administrations. Aussitôt elles se sont mises en grève, soutenues par la CGT. Pour la dignité, elles ne voulaient pas être traitées comme des paquets qu’on déplace. De plus, sans formation professionnelle sur la prise en charge physique et parfois morale des personnes en situation de handicaps permanents ou temporaires, elles estimaient ces mutations dangereuses pour leur santé et pour celles des personnes malades. Elles savaient aussi qu’il n’y aurait pas de remplaçantes dans les bureaux et que la charge de travail sur celles qui restaient allait encore augmenter. Et pourquoi chambouler tout un équilibre de vie, augmenter les temps de transport et le stress qui va avec pour un patron qui veut juste faire des économies sur votre dos ! Au bout de trois semaines de grève, elles ont gagné, les mutations ont été annulées, Elior a dégagé. Une belle lutte bien déterminée et qui mettait aussi en lumière nos intérêts communs ! Elles ont encore continué trois semaines la grève pour le paiement des journées, hélas le patron très en colère n’a pas cédé ! Toutes nos solidarités et nos espoirs ont joué à plein !
Propos recueillis par Roseline Vachetta