Publié le Vendredi 2 octobre 2009 à 18h43.

Des logiciels pas si libres...

Les logiciels libres connaissent un développement rapide depuis les années 1990. Ils sont synonymes à la fois de démocratisation de l’accès aux outils informatiques et aux connaissances, et à la fois d’un nouvel enjeu économique pour des entreprises et des Etats qui souhaitent enrayer le monopole de Microsoft sur le marché. 

Un système informatique fonctionne grâce à un ensemble de programmes et de procédures : les logiciels. Le logiciel libre désigne un programme dont le code source (le canevas de fonctionnement) est totalement accessible, ce qui permet, moyennant la maîtrise du langage de programmation, d’étudier le fonctionnement d’un système informatique et de l’améliorer.

Ce concept remonte aux années 1930-1940. Quand les ordinateurs ont fait leur apparition dans les universités américaines, ils étaient des outils de recherche libres d'être étudiés, utilisés ou modifiés. L’Etat ou l’armée américaine qui achetaient les ordinateurs et les logiciels avaient tout intérêt à permettre la création de communautés de programmeurs afin de favoriser l'amélioration des logiciels et d'abaisser les coûts de programmation en les mutualisant.

Le concept de logiciel propriétaire est apparu avec les premières commercialisations dans les années 1960-1970. Les clients sont devenus des entreprises, pour qui ces produits n'étaient que des machines-outils. Il fallait faire payer ces clients qui ne pouvaient ni améliorer le logiciel ni le rendre moins cher à produire. Plus les ordinateurs sont entrés dans les entreprises, plus les éditeurs ont cherché à rentabiliser leur travail en fermant les codes sources, en limitant les droits d’usage de leurs logiciels et en taxant chaque copie par la vente de licence. Un marché de plus en plus vaste et lucratif se développait.

Au début des années 1980, de nouvelles évolutions technologiques ont permis à  l’informatique d’atteindre le grand public. Les éditeurs de logiciels ont alors uniformisé leurs produits pour verrouiller le marché et empêcher l'émergence d’entreprises concurrentes. Le pouvoir d’une poignée d’éditeurs s’est ainsi fortement accru, atteignant dans certains cas un statut de monopole. Dans le secteur de la bureautique et des systèmes d'exploitation d'ordinateurs individuel (PC) par exemple, 95 % des logiciels installés dans le monde sont des produits Microsoft.

Dès 1983, en réponse à la fermeture des codes sources, Richard Stallman, chercheur en informatique du MIT* crée la Fondation pour le Logiciel Libre et développe un système d’exploitation ouvert baptisé GNU. La Licence publique générale, GPL, qui en découle donne alors à toutes et à tous le droit de copier, étudier, modifier et redistribuer les versions modifiées du logiciel.

L’émergence et le rapide développement du marché du libre

Les années 1990 sont marquées par l’arrivée de Linux et plusieurs standards du « non marchand ». Très rapidement, le marché du libre progresse et s’appuie sur quelques grands éditeurs de distributions GNU/Linux : Red Hat sur le marché américain (1995), SuSE en Allemagne (1996), Mandrakesoft en France (1998), et Debian en tête des distributeurs à partir des années 1990.

A côté  des projets les plus visibles comme Firefox et OpenOffice, le libre n’a cessé de se développer et, depuis les années 2000, connaît une croissance fulgurante. Fin 2000, IBM annonçait par exemple 1 milliard de dollars d'investissement « autour de Linux ». D'autres grands acteurs rejoignent le mouvement et s'engagent de manière croissante : Linux émerge en tant que valeur du marché de l’informatique. En 2007, le marché français du logiciel libre pesait près de 730 millions d'euros. Il devrait, d'ici 2010, être multiplié par 10 selon les principales études disponibles.

Depuis 1994, les logiciels libres constituent un modèle économique pour des éditeurs. Ceci peut paraître paradoxal, vu l'ouverture et la gratuité dont ils sont synonymes, mais en supprimant le coût des licences, le logiciel libre autorise une marge supplémentaire sur les services dont beaucoup d’entreprises ont un besoin croissant, faute de fortes compétences informatiques. Le développement des services est une tendance lourde du marché de l'informatique que le développement des logiciels libres accompagne parfaitement : si la matière est gratuite, le service et la connaissance qui l’entourent sont payants.

Les paradoxes du logiciel libre

L'engouement des grands acteurs de l'industrie de l'informatique pour la « libération » des codes sources sous couvert de défense des libertés fondamentales n'est en rien une démarche philanthropique. Pour Google, Sun, IBM, HP et bien d'autres, le financement massif de  logiciels libres est un moyen d'utiliser leur fonctionnement communautaire et mutualisé pour s'assurer des parts de marché. Face à l'hégémonie de Microsoft et à l'énormité des investissements nécessaires pour la contester, le logiciel libre est leur meilleure arme dans une guerre industrielle où le seul objectif est bien le profit.

Le monopole de Microsoft sur l'informatique mondiale ne gêne pas que ses concurrents directs. Pour les Etats, dépendre d’éditeurs presque exclusivement américains pose un véritable problème de sécurité et de souveraineté. Personne en effet ne peut maîtriser réellement un système d'information reposant sur des logiciels propriétaires dont le fonctionnement n'est connu que de l'éditeur. Le logiciel libre au contraire, permet d'en conserver le contrôle réel. Le ministère de la Défense français par exemple a passé en 2004 un marché de plusieurs millions d'euros pour le développement d'une distribution Linux sécurisée destinée à équiper les serveurs de l'armée. D'une manière générale d'ailleurs, l'administration incite à l'utilisation de systèmes et de logiciels libres pour toutes les fonctions qui touchent à la sécurité informatique.

Dans le même temps, les méthodes de développement communautaires des acteurs du logiciel libre, l'ouverture des codes et la possibilité de les diffuser gratuitement favorisent incontestablement des modes de fonctionnement collectifs basés sur le partage des connaissances. Certaines communautés de développeurs affichent des objectifs militants sincères et s'engagent pour favoriser la diffusion des logiciels dans les pays du Sud ou pour développer des outils assurant l'indépendance des réseaux associatifs par rapports aux grands éditeurs commerciaux. Certains logiciels libres sont développés par les universités avec une logique de collaboration parfois internationale et de diffusion large et gratuite des savoirs.

Par leur nature même, les logiciels libre encouragent à la diffusion libre des connaissances. Par leur caractère gratuit, ils permettent l'accès plus facile et dans de meilleures conditions du plus grand nombre aux derniers développements des outils informatiques. Si les grands groupes industriels qui financent le logiciel libre et en tirent profits n'ont rien de bien différents de ceux du logiciel propriétaire, le principe et le droits du logiciel libre méritent bien, eux, d'être défendu !

Rémy Simeoni et Vincent Berger.
 *Massachusetts Institute of Technology