Publié le Samedi 7 novembre 2009 à 12h59.

Après les élections de juin 2009, vigilance antifasciste en Europe (par Denis Boulègue)

Si les droites souverainistes ont reculé dans les élections européennes de juin 2009, les droites populistes, autoritaires et xénophobes ont en revanche progressé dans de nombreux pays, notamment à l’Est. En France, l’extrême droite morcelée se trouve affaiblie. Tour d’horizon.

De manière générale, la progression des scores électoraux des partis d’extrême droite marque la progression des idées défendues par les droites nationales et radicales. Les partis s’inscrivant dans la continuité des fascismes historiques sont, pour l’heure, plus en difficulté que les partis nationaux-libéraux. Cela étant, on retrouve dans le discours de la plupart de ces partis un profil « antisystème », la stigmatisation des élites politiques et économiques, le rejet de l’intégration européenne, la dénonciation de l’immigration et de la différence culturelle, le souhait d’un retour aux traditions.

À l’exception du Royaume-Uni (où le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni – UKIP – a confirmé sa progression de 2004 en obtenant 
6 % et 13 sièges) et de l’Autriche (où la liste de Hans-Peter Martin est passée de 14 à 18 %), la droite souverainiste, dont les forces ne se distinguent guère des droites libérales-conservatrices, régresse. Les mouvements de « juin », qui avaient fait élire des députés en Suède et au Danemark, disparaissent ; la liste Libertas du MPF de Philippe de Villiers, de l’Irlandais Declan Ganley et de Frédéric Nihous (CPNT) obtient 1 siège avec 4,9 %.

Les droites nationales et radicales ont suivi ces vingt dernières années des tactiques différentes : certains partis choisissent d’accéder aux responsabilités ou offrent leurs services pour des alliances, d’autres (parfois dans le même pays) privilégient une stratégie de rupture.

Participations gouvernementales

Dans six pays de l’Union européenne, l’extrême droite participe au gouvernement et vise ainsi à faire avancer ses idées dans des coalitions. Lors des élections européennes, ces partis ont connu des succès.

Au Danemark, le Parti du peuple danois (DF, Dansk Folkeparti) a réalisé 15,2 % des voix avec un discours xénophobe, anti-islam, antifiscal, et contre l’Europe libérale.

En Italie, les post-fascistes de l’Alleanza nationale (AN, parti héritier du MSI, Mouvement social italien) de Gianfranco Fini se présentaient en alliance avec Forza Italia de Berlusconi et d’autres forces comme l’Azione Sociale d’Alessandra Mussolini. Cette coalition, pompeusement baptisée « Le Peuple de la liberté », a obtenu 35,3 % des voix. La ligne d’AN est officiellement conservatrice, anticommuniste, modérée sur l’immigration. Mais le parti conserve à la base des restes de nostalgie fasciste. La Ligue du Nord d’Umberto Bossi, membre de la coalition gouvernementale mais qui présentait ses propres listes aux européennes, a recueilli 10,22 % des voix et 8 sièges, soit le double de 2004. Violemment xénophobe, la Ligue du Nord prône le séparatisme des régions du nord de l’Italie rassemblées dans une entité nommée Padanie.

Aux Pays-Bas, après le météore Pym Fortuyn, on assiste de nouveau à l’émergence rapide d’un parti national-libéral atypique, le Parti pour la liberté (PVV) créé en 2006. Avec 16,9 % des voix et 
 élus, il se retrouve déjà deuxième force du pays. Fondé sur un discours anti-islam exacerbé, anti-immigration et eurosceptique, son succès s’est construit autour de la personnalité du leader Geert Wilders, ancien assistant parlementaire de Bolke-stein. Il prône aussi le rattachement de la Flandre belge aux Pays-Bas.

L’extrême droite obtient également des scores significatifs en Autriche. Les électeurs ont apporté 12,9 % et 2 sièges au FPÖ, et 4,6 % au BZÖ. Le BZÖ est une scission minoritaire du FPÖ autour de feu Jörg Haider et de la fraction parlementaire, favorable à une participation gouvernementale. Cette scission avait paradoxalement renforcé l’extrême droite avec un score cumulé de 30 % aux législatives de septembre 2008. Le discours de ces deux partis s’articule autour de la dénonciation de la politique spectacle, du modernisme. Il est xéno-phobe (particulièrement anti-slovène en Carinthie), anti-islam, anti-turc et multiplie les provocations verbales sur la nostalgie du nazisme. Il est également anticommuniste, antisémite et oscille entre libéralisme et interventionnisme étatique.

En Slovaquie, le Parti national slovaque (SNS) a remporté un premier siège avec 5,5 % des voix. Ultranationaliste, le SNS développe un discours anti-rom, anti-hongrois et eurosceptique.

Les «antisystèmes» d’Europe de l’Ouest

En Belgique, le Vlaams Belang (« l’intérêt flamand ») a obtenu 16 % des voix et conservé deux des trois sièges remportés en 2004. Partisan de l’indépendance de la Flandre, s’opposant à l’immigration et à une soi-disant islamisation de l’Europe, le parti de Filip Dewinter développe également un discours populiste anticorruption. Présent depuis longtemps sur la scène nationale, le VB a pâti de l’émergence d’autres forces de la droite populiste et libérale, qui ne sont pas d’essence fasciste : la liste Dedecker (7,7 %) et la Nouvelle Alliance flamande (13,1 %), qui se partagent le nationalisme anti-belge de l’extrême droite flamande.

Au Royaume-Uni, le British National Party (BNP), en progression inquiétante depuis plusieurs années, a remporté pour la première fois deux sièges au Parlement européen avec 6,5 % des voix. Renforçant son implantation sur l’ensemble du territoire, le BNP cherche même à tirer profit de mobilisations syndicales en défense de l’emploi, en y instillant des revendications de préférence nationale.

En Grèce, l’« Alerte populaire orthodoxe » (LAOS), nouveau venu sur la scène politique, a obtenu 7,2 % des voix et 2 sièges avec un discours anti-immigrés, antisémite et anti-américain.

En Allemagne, malgré des résultats aux élections locales non négligeables pour le NPD, l’extrême droite n’a atteint lors de ces européennes que des scores très faibles. Les Republikaners (REPs) ont recueilli 1,3 % et l’«Union du peuple allemand» (DVU) seulement 0,4 %. Une faible structuration, un harcèlement antifasciste permanent et les divisions entre les différents partis (REPs, DVU, NPD) expliquent ces résultats.

En Finlande, un nouveau parti « populiste » de droite, le « Parti des vrais Finlandais », allié pour l’occasion à des chrétiens-démocrates plutôt 
roches des intégristes chrétiens, a obtenu 9,8 % des voix.

En France, le FN connaît une crise électorale et militante, en plus de sa longue crise de succession et d’une crise financière. Déjà en recul en juin 2004 avec 9,81 %, il a obtenu cette fois-ci 6,34 % des suffrages. Ce résultat n’exprime pas une défaite visible des idées du FN (ne pas oublier que sa propagande varie suivant les buts à atteindre ; son discours peut être plus « soft », plus « social »), mais est surtout dû à l’absence de toute dynamique militante autour de ce parti. De plus, l’abstention et le siphonnage des voix par l’UMP semblent avoir encore joué.

Les « dissidences » des anciens cadres FN n’ont pas été concluantes électoralement. Le « Parti de la France » fondé par Carl Lang finit la course à 1,52 % des voix dans son fief nordiste. Dans la circonscription Massif central-Centre, la situation n’a été guère meilleure avec 1,88 %. Dans le Sud-ouest, Jean-Claude Martinez, autre tête d’une dissidence militante du FN (initialement « la Maison de la vie », rebaptisée en cours de route «  l’Europe de la vie »), n’a obtenu que 0,92 %.

La « liste antisioniste » conduite par Dieudonné M’bala M’bala et l’ex-FN Alain Soral n’aura pas décollé non plus. Présente uniquement dans la circonscription Ile-de-France, elle y a réalisé 1,3 % des voix, avec toutefois des pics locaux en Seine-Saint-Denis (2,83 % à l’échelle du département) ou dans des villes comme Garges-lès-Gonesse dans le Val-d’Oise (6,03 %, son meilleur score à l’échelle d’une commune). Enfin, la liste Alliance royale a fait son « meilleur score », avec 0,07 % des suffrages exprimés, dans la circonscription Ouest.

En Europe centrale et de l’Est

Dans ces pays, le discours de l’extrême droite est traversé par la question des diverses minorités s’étant retrouvées du « mauvais » côté de la frontière lors du dépeçage de l’empire austro-hongrois. Rejet de la minorité hongroise côté roumain et inversement, rejet anti-turc en Bulgarie, anti-slovaque en Hongrie, racisme systématique anti-rom… On y trouve aussi une affirmation chrétienne et un fort antisémitisme. Se réclamant parfois d’une approche sociale, d’un communisme dévoyé dont leurs leaders peuvent être issus, certains partis développent un discours antilibéral et eurosceptique.

En Hongrie, le Jobbik (« Le meilleur ») a pu réaliser 14,77 % des voix. Ce parti a été à l’origine de la fondation d’une milice paramilitaire d’extrême droite, la Garde hongroise, qui vient d’être dissoute en juillet 2009 par la cour d’appel de Budapest pour « actes discriminatoires » envers la minorité tzigane.

En Roumanie, la liste rassemblant le Parti de la grande Roumanie (PRM, connu aussi sous le nom de parti « national-communiste » !) et le Parti de la nouvelle génération (PGN, droite populiste), a obtenu 8,7 % des voix. Le discours du PRM, dont les tentatives de se rapprocher de la démocratie chrétienne ont été sans succès, semble avoir été un peu édulcoré dans ses aspects antisémites.

En Bulgarie, le parti nationaliste « Ataka » a obtenu 11,96 % des voix et deux sièges.

En Lettonie, l’« Union pour la patrie et la liberté » (LNNK) a atteint 7,5 % et remporté un siège. En Lituanie, le mouvement « Ordre et Justice » a recueilli 12,45 % et deux sièges.

Une extrême droite renforcée au Parlement européen?

Historiquement, la coordination des parlementaires d’extrême droite n’a jamais été facile et elle a souvent échoué pour des questions de leadership, de revendications territoriales, mais aussi de désaccords sur le projet européen. Par exemple, le FN est partisan d’une Europe confédérale (« l’Europe des patries »), alors que les mouvements allemands et flamands sont favorables à une « Europe des peuples », sur une base identitaire. À plusieurs reprises, les groupes parlementaires ayant rassemblé les partis de tendance nationaliste ou d’extrême droite ont été dissous faute de pouvoir maintenir un nombre suffisant de députés ou une représentation dans suffisamment d’États membres de l’Union européenne. C’est pourquoi les élus d’extrême droite ont souvent siégé en tant que non-inscrits et réalisé des groupements informels, comme l’association « Euronat » fondée en octobre 2005.

Aujourd’hui, leurs stratégies et positionnements politiques diffèrent toujours.

Par exemple, la Ligue du Nord (Italie), le PVV (Pays-Bas) et le Parti du peuple danois, soucieux de respectabilité, ne veulent pas se compromettre avec le FN. Les divergences territoriales sont par ailleurs parfois rédhibitoires. Si les partis européens d’extrême droite se retrouvent sur beaucoup de thèmes, la grille de lecture nationaliste prend le dessus sur certains sujets. Le Jobbik hongrois et le Parti de la grande Roumanie ne peuvent ainsi se regrouper dans la même entité du fait de leur contentieux national sur la Transylvanie.

Ces différents partis restent écartés du consensus qui régit le fonctionnement du Parlement européen. Le FN s’est ainsi toujours trouvé confronté à l’hostilité des autres parlementaires au moment de la répartition des postes de responsabilité (attribués à la proportionnelle). Les représentants de l’extrême droite ont été condamnés à faire de la figuration dans les commissions et dans les missions à l’étranger.

Il reste que les partis d’extrême droite qui ont des élus au Parlement européen utilisent cette légitimité et les moyens qui en découlent pour renforcer leur place sur la scène politique, tester leur audience au niveau national et aussi, malgré leurs désaccords, aider d’autres partis d’extrême droite. Une coordination, comme il y en a eu dans le passé, est en train de voir le jour entre le FN, le BNP, le Vlaams Belang, le FPÖ et Ataka, qui leur permettrait de travailler à des initiatives communes. Au plan européen comme dans l’hexagone, les droites souverainiste, populiste et extrêmes vont essayer de profiter de la crise économique et, souvent, de la banalisation de leur idéologie par la droite libérale-conservatrice.

À la mi-août, l’alliance de droite souverainiste du MPF de Villiers et du mouvement CPNT a rejoint le « Comité de la majorité présidentielle » pour préparer en commun les prochaines échéances électorales. Le FN, qui exploite déjà la conjoncture actuelle comme on l’a vu à Hénin-Beaumont, va tenter de reconquérir son électorat par-delà toutes ses difficultés et oppositions internes, sur des questions de stratégie et de leadership. Le bloc identitaire, la nouvelle droite populaire, le Parti de la France de Carl Lang, d’autres associations et groupes issus de l’extrême droite historique française, n’auront de cesse que de faire partie du paysage politique.

C’est pourquoi, il est important de mobiliser afin de ne leur laisser aucune opportunité ni dans la rue ni dans les urnes, en apportant à leur idéologie des réponses politiques et concrètes.