Publié le Dimanche 22 novembre 2009 à 22h11.

1984 Big brother vous regarde

La troupe de Sébastien Jeannerot interprète l'adaptation du célèbre roman de George Orwell au Théâtre de Ménilmontant, prolongée jusqu'au 30 janvier. La pièce mêle vidéos sur écrans géants et jeu des acteurs en direct. Entretien avec Sébastien Jeannerot, co-metteur en scène de la pièce.

Comment a démarré le projet de cette adaptation ?

C'est parti de ma rencontre avec Alan Lyddiard, un metteur en scène anglais. Il avait déjà monté la pièce en Angleterre, que j'ai eu l'occasion de voir. Comme pas mal de spectateurs au début, j'étais sur la défensive ; j'entendais qu'on ne massacre pas mon roman préféré... et je suis tombé là-dessus. À partir de ce moment, je n'ai eu qu'une idée en tête : monter 1984. J'avais une toute petite production naissante, mais je savais que tout ce que j'allais mettre en œuvre à partir de ce jour serait pour monter 1984 en français. Elle a été créée pour le Festival d'Avignon 2008. Victor dos Santos, directeur du Théâtre de Ménilmontant, a vu la pièce, et trois mois plus tard on est partis pour une saison complète ici et on redémarre pour une deuxième saison. L'avenir nous dira ce qu'il adviendra par la suite. Les anglais ont joué leur pièce pendant près de huit ans. On en est à un an et trois mois... il nous reste un petit peu de temps devant nous !

Vous avez fait le parti pris d'inclure des notes d'humour dans la mise en scène.

Laisser de temps en temps la place au rire permet aux spectateurs d'évacuer la pression et l'univers anxiogène d'Orwell. Quand on lit un roman, on peut le refermer et y revenir. Mais quand on se prend «1984» au théâtre, on en ressort qu'à la fin. C'est vrai que le roman d'Orwell n'a rien d'humoristique, mais l'adaptation tendait de temps en temps à faire souffler un peu le spectateur. Il a besoin de s'échapper cinq secondes pour pouvoir mieux se reconcentrer sur les phrase cultes du roman, qui le poussent à la réflexion face à cette société totalitaire.

Justement, les thèmes de 1984 sont toujours d'actualité. C'est ce qui vous a principalement intéressé pour en faire l'adaptation ?

Évidemment. C'est pour ça que j'ai choisi d'écrire ma grammaire cinématographique quelque part à un moment donné, et pas dans les années 50 sous le stalinisme. Ça ne m'intéresse pas de parler de l'histoire parce que le spectateur pourrait s'en servir pour dire «oui mais c'est du passé, aujourd'hui on est passé à autre chose». Or, malheureusement, Orwell est encore visionnaire et le monde qu'il a décrit est peut-être déjà là, arrivera, ou a toujours existé. Aldous Huxley a, à mon sens, imaginé la société anté-atomique, alors qu'Orwell a imaginé un monde post-atomique, ce qui se passera après. Une fois que le pouvoir n'aura plus d'autre moyen pour se préserver contre les masses, il organisera un génocide mutuel à coups de bombes atomiques, pour replonger les masses dans la peur et recommencer à les contrôler, sous prétexte de les sécuriser. Si les blocs cherchaient véritablement à créer la paix éternelle, ça se saurait. Ces blocs sont bien là pour créer une guerre éternelle, pour eux contre nous, et non pas pour nous contre d'autres lambdas. Nous sommes des lambdas. Et on nous fait croire que l'ennemi, c'est celui qui habite dans un petit 25 m2, qui a du mal à payer son loyer et qui vit à 20 000 bornes d'ici. Le Chinois qui travaille dans son champ, je ne lui veux pas de mal, il ne me veut pas de mal. Mais sous couvert de drapeaux, on érige des barricades pour que les hommes se détruisent. Je suis un peu moins enthousiaste et rêveur que Winston. La mondialisation ne sert pas à créer la paix éternelle, mais bien à concentrer les forces de deux ou trois grandes forces qui s'affronteront éternellement.

Propos recueillis par Gilles Pagaille.

1984, Big Brother vous regarde, Théâtre du Ménilmontant, 15, rue du retrait, Paris XXe