C’est dans le cadre de sa thèse sur l’antiracisme en France que Jim House découvre l’histoire du 17 octobre 1961 à Paris. Il étudie l’impact de la guerre d’indépendance algérienne sur l’émigration algérienne et sur les milieux antiracistes de la gauche française. Il travaille ensuite autour des rapports entre colonie et métropole qui constituent un thème clé des études postcoloniales. Jim House est coauteur avec Neil MacMaster d’un livre important sur le 17octobre 1961 et sur sa mémoire : Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’état et la mémoire (Tallandier 2008).
Quels éléments nouveaux, factuels ou d’analyse, apportez-vous sur le 17 octobre, dans votre livre ?
Jim House : Neil MacMaster et moi avons considéré que la focalisation sur le nombre des tués du 17 octobre avait appauvri notre compréhension des causes, du déroulement et des séquelles de l’événement. Toutefois, la question est tellement importante qu’on ne pouvait l’ignorer. Mais on a plutôt voulu intégrer la question du bilan des morts dans le cadre de notre problématique générale, à savoir le souci de repenser les repères chronologiques de l’événement pour situer la violence policière du 17 octobre comme paroxysme d’une violence qui a certes culminé cette nuit-là, mais qui s’est étendue sur les mois de septembre et d’octobre 1961. à ce titre, nous avons pu estimer à au moins 120, le nombre d’Algériens assassinés par la police en région parisienne durant ces deux mois, et le nombre est certainement plus élevé. Nous avons étudié la violence de l’automne 1961 dans le cadre d’un système répressif extrêmement dur mis en place à partir de 1958 et que nous appelons « terreur d’état », système planifié qui cultive la violence et la peur de celle-ci afin de mater toute résistance. En même temps, nous sommes remontés plus loin encore pour comprendre comment certaines méthodes répressives en cours en Algérie et au Maroc ont pu inspirer le système de lutte contre le FLN mis en place à Paris. Et puisque la focalisation sur le nombre des morts a eu tendance à rester trop près des événements sur le plan chronologique, nous avons souhaité retracer l’histoire de la mémoire d’octobre 1961.
Pouvez-vous décrire les conditions de « survie » du souvenir du 17 octobre, avant sa résurgence dans les années 1980 ? On a longtemps cru que la mémoire des familles immigrées était essentielle, or vous décrivez un souvenir porté par les milieux politiques…
Jim House : Beaucoup reste à étudier sur la transmission ou la non-transmission de la mémoire du 17 octobre dans les familles algériennes. Cela dit, nous avons pu identifier une grande réticence à parler du 17 octobre dans le cadre familial algérien avant les années 1980 voire 1990, et cela pour de multiples raisons : peur, traumatisme, souci de ne pas compromettre l’attitude des enfants vis-à-vis de la société française, absence de relais mémoriels… Toutefois, pour les ancien-nes manifestant-es, silence ne veut pas dire oubli. Et le souvenir du 17 octobre a sans doute circulé entre ami-es et ancien-nes militant-es dans les espaces « semi-publics » que sont les lieux de sociabilité de l’émigration algérienne (cafés-restaurants, foyers, hôtels, hammam). Après mai 1968, les milieux d’extrême gauche en France ont constitué un vivier pour la transmission de cette mémoire aux jeunes militant-es d’origine algérienne (et plus généralement maghrébine), ayant grandi en France ou bien venu-es en France pour étudier : c’est ainsi que le 17 octobre 1961 refait surface en 1983-84 lors des grandes mobilisations antiracistes, redynamisant le souvenir du massacre. Quoi qu’il en soit, pour la société française dominante, toutes ces manifestations mémorielles sont restées quasi-inaudibles jusque dans les années 1990.