Publié le Lundi 22 février 2010 à 09h57.

BD : musique contre dictature

David Prudhomme nous livre une BD superbe, hommage à des musiciens expatriés et interdits par la dictature grecque des années 1930.Rébétiko : un titre étrange qui est le nom d’une musique, en Grèce, comparable par sa mélancolie au fado portugais. Cette musique est née chez les Grecs de Turquie, qui furent expulsés vers la Grèce au début des années 1920. Ils s’établirent alors dans les ports du Pirée ou de Thessalonique et se mélangèrent aux mauvais garçons et aux marginaux, vivant dans les quartiers populaires et les bidonvilles. Le personnage du rébète est alors un mélange de bohème et de populaire, de romantique et de noctambule, de bas-fonds et d’exil. Sa musique est crue et envoûtante, elle se danse lentement, les yeux fermés, comme dans une sorte de transe.

En 1936, le dictateur Metaxás arrive au pouvoir et veut mettre au pas ces musiciens rebelles. Il interdit le rébétiko et ses instruments traditionnels, emprisonne ceux qui continuent à pratiquer. Il s’agit pour lui à la fois de condamner une musique à l’esprit libertaire, et de rejeter la part orientale de la Grèce qu’ils représentent, et son supposé archaïsme, à l’heure de la modernisation du pays. Dans cet album, David Prudhomme suit, sur une journée et une nuit, des amis rébètes qui vont le matin chercher l’un des leurs à sa sortie de prison. Fumeurs de haschich, grands buveurs, ils parcourent la ville, allant de bar en bar à la recherche de leur public et d’aventures amoureuses, selon les occasions offertes et les embûches évitées. Un chemin qui n’est pas de tout repos, puisqu’ils sont pourchassés par la police, par un mari cocu et par un petit caïd qu’ils ont humilié.

Le récit est à la fois drôle et poétique : drôle parce que les musiciens ne se laissent pas faire, ridiculisent leurs ennemis et n’hésitent pas à faire preuve d’un humour désabusé sur leur propre situation. La poésie est une poésie de la résistance, de ceux qui ne courbent pas l’échine et rendent les coups.

La dictature n’est pas le seul danger qui pèse sur les rébètes. La proposition d’un producteur américain, offrant la possibilité de partir enregistrer en studio, fait peser sur le groupe un terrible choix : s’en sortir tout seul ou rester ensemble quoi qu’il arrive. Ce livre réconfortera tous ceux et celles qui résistent à ce qui est présenté comme inexorable, qui ne luttent pas seulement par des discours mais dans les actes, dans la manière de vivre. C’est aussi une bande dessinée superbe, avec un dessin maîtrisé à la perfection.

David Prudhomme sait rendre l’ombre sous une tonnelle méditerranéenne, les taches de soleil qui passent à travers la végétation, et le contraste avec l’extérieur ensoleillé. De case en case, la luminosité change et on suit le lever du jour en l’espace de quelques pages. Son dessin est tellement évocateur qu’on a vraiment l’impression d’être au milieu des rébètes, avec le son, les odeurs, l’ambiance.

Cet ouvrage est, par le contenu et par la forme, un grand album de BD, une ode à ceux et celles qui refusent de s’adapter, de se soumettre. Sylvain PattieuDavid Prudhomme, Rébétiko (La mauvaise herbe), Futuropolis, 20 euros