Publié le Dimanche 9 mars 2025 à 15h00.

La Belle de Mai. Fabrique de révolutions, de Mathilde Ramadier et Élodie Durand

Éditions Futuropolis, 2024, 144 pages, 22 euros.

On connaissait la « belle grève des femmes », celle des ouvrières sardinières de Douarnenez en 1924, racontée récemment par Anne Crignon1. C’est par la BD que nous découvrons celle des ouvrières cigarettières de Marseille à l’hiver 1887.

Une grève victorieuse

Avec de jolis dessins en noir et blanc… et bleu, les autrices nous racontent cette histoire de dignité ouvrière, de dignité de femmes. Depuis les jours qui précèdent la grève jusqu’à leur victoire, car oui, pas de suspens, elles obtiendront satisfaction sur l’essentiel de leurs revendications. Une issue presque incroyable, tant les ouvrières de la manufacture de tabac cumulaient les handicaps.

Les conditions de travail étaient pénibles : il faisait très froid dans les ateliers et les contremaîtres jouaient parfaitement leur rôle de surveillance, de pression et de répression, avec comme illustration la plus violente, les fouilles au corps à la débauche, pratiquées par des chefs zélés. C’est l’accumulation de toutes ces souffrances qui va finir par déclencher le mouvement de colère. Après plusieurs discussions, certaines ouvrières plus remontées que d’autres vont réussir à amorcer la riposte collective, avec la grève « sur le tas ».

Écho médiatique

Une jeune femme journaliste au Petit Provençal dans la ville donne plus de poids à la grève en la faisant connaître largement. Comme pour les sardinières, une journaliste avait aussi aidé à donner un écho important à leur grève. En conséquence, la confiance commence à changer de camp. Les patrons sûrs de leur pouvoir commencent à douter. Méprisant les ouvriers et les femmes, ils considéraient que la grève ne tiendrait pas.

Mais c’est le contraire qui se passe. Avec la détermination et la révolte, les femmes en lutte ­s’organisent et ne lâcheront pas. Elles parlent de leur atelier ; c’est chez elles, alors elles doivent ­décider. Le mot d’ordre d’autogestion est lancé. Un député socialiste vient les soutenir et intervient pour elles à ­l’Assemblée.

Et les hommes dans tout ça ?

Bien sûr, tout n’est pas simple, par exemple gagner la solidarité des hommes, y compris des maris. Lors des réunions qui se déroulent dans un bistrot, leur quartier général, les discussions sont animées. Il y a des ouvrières résignées qui pensent qu’on ne peut pas changer la vie ; il y a des hésitations, des peurs légitimes.

Grâce à cette BD, on revit une lutte comme il a dû y en avoir d’autres, contre la misère, contre l’exploitation outrancière. Cet exemple marseillais, quelques années après la Commune de Paris, montre que de tout temps il y a eu la force de lutter, la volonté de s’organiser ensemble, une expérience certaine qui s’est accumulée au fil des années, qui ont permis la construction d’organisations mutualistes, de caisses de secours, de syndicats.

Une BD réjouissante, agréable à lire, qui donne envie d’en savoir plus sur cette période. Une BD qui permet à sa manière de transmettre une expérience de combat contre l’oppression, et finalement le goût de la lutte.

Philippe Poutou

  • 1. Une belle grève de femmes, Anne Crignon, Éditions Libertalia, 2023, 168 pages, 10 euros.