Le 17 avril 1950, à Brest, Édouard Mazé, ouvrier CGT de 26 ans, tombait sous les balles des forces de l’ordre, lors d’une manifestation « pour le pain, la paix et la liberté ». Dans le Brest en ruine des années d’après-guerre, mal nourris, mal logés, mal guéris des deuils, des souffrances, des privations de quatre années d’occupation nazie, les travailleurs remettaient en ordre la cité, souvent dans les pires conditions. Les ruines se relevaient rapidement. Le moment était venu, pour les travailleurs, qui n’avaient pas ménagé leur peine, d’exiger une plus juste rémunération de leur travail ». Ainsi, Pierre Cauzien, blessé par balle lors de cette manifestation, résumait la situation à Brest en 1950. À cette époque, la CGT, comme l’Union des femmes françaises (UFF), sont les courroies de transmission d’un PCF complètement stalinisé. En face, la droite les qualifie de « moscoutaires ». Sur fond de guerre froide et de mobilisations anticoloniales radicales initiées par le PCF, gouvernement et police opposent une violence d’État extrême. L’argent remplit les poches des employeurs et finance la guerre coloniale d’Indochine. Plus de 6 000 ouvriers du bâtiment s’activent à reconstruire Brest, ravagée par quatre ans de bombardements. Après les dockers, en nombre, les salariés du bâtiment votent la grève en mars. Massive, elle est soutenue par la quasi-totalité de la population ainsi que par la CFTC, puissante dans cette « terre des prêtres », par FO qui venait pourtant de scissionner de la CGT, par les partis de gauche et même jusqu’à l’évêché. Le grand patronat, le maire RPF (gaulliste) de Brest, Alfred Chupin, et le gouvernement refusent de négocier et massent gendarmes mobiles et CRS dans les rues de la ville. Chupin interdit une manifestation le 12 mars, mais les 150 manifestants, souvent d’anciens résistants, très déterminés, réussissent à passer un premier barrage de policiers. Le 13, on compte 13 000 grévistes à l’arsenal, dans le bâtiment et chez les dockers. Les provocations se multiplient, des femmes de grévistes sont agressées. Le 14 avril, Marie Lambert, députée communiste, se rend à la mairie pour réclamer du pain et du lait pour les enfants. Elle est malmenée par les gardes mobiles. Les grévistes tentent alors d’entrer dans la mairie et sont refoulés. Un dirigeant patronal est « conduit par contrainte mais sans violence » jusqu’à la Maison des syndicats pour s’expliquer. Relâché, il porte plainte et deux responsables de la CGT, Cadiou et Bucquet, sont arrêtés, de même que Marie Lambert au mépris de son immunité parlementaire. C’est dans ce climat qu’après un mois de grève, le 17 avril, une puissante manifestation interprofessionnelle, à l’appel des trois organisations syndicales, rassemble des milliers de salariés. Le maire Chupin, avec l’accord du député André Colin, également secrétaire d’État à l’Intérieur, interdit cette manifestation, affichant seulement le 18 avril un arrêté antidaté du 16. Rue Kérabécam, la troupe met les manifestants en joue. Un ordre de tir est donné, plusieurs manifestants s’effondrent. Édouard Mazé est atteint d’une balle en plein front, Pierre Cauzien et bien d’autres sont blessés par balle et des dizaines sont victimes de coups de crosse. Les messages de soutien affluent de tout le pays. Après des obsèques grandioses suivies par 80 000 personnes, les patrons sont contraints de signer un accord le 22 avril. En 1962, douze ans plus tard, neuf manifestants seront également assassinés par la police, au métro Charonne à Paris.Cette année, la CGT du Finistère a souhaité donner un caractère exceptionnel à ce tragique anniversaire et a invité les autres organisations syndicales à s’y associer. Seule Solidaires a répondu favorablement. Le 17 avril 2010, plus de 300 personnes ont participé à l’hommage à Édouard Mazé, parmi lesquelles son frère Ernest, le cinéaste militant René Vautier qui a fait un film sur cette répression, de nombreux responsables, militants et vétérans de la CGT de tout le Finistère, une délégation de Solidaires, des militants du PCF, du NPA, du PS. Kris, co-auteur de la BD Un homme est mort, a lu des extraits d’archives interdites pendant 60 ans. Nous savons maintenant que c’est le commissaire Le Goan qui a fait les sommations que personne n’a entendues et qui a donné l’ordre de tirer pour ensuite se retirer en disant « je suis connu ici, il faut que je m’en aille ». Il n’a jamais été inquiété, l’enquête aboutissant à un non-lieu en 1951. Pierre Cauzien, handicapé par la perte d’une jambe, a tout essayé pendant des décennies pour obtenir justice et réparation pour lui et les autres victimes. En vain, les politiques de droite comme de gauche n’ont jamais donné suite à ses demandes. Le gouvernement aurait même l’intention d’allonger la durée d’inaccessibilité de ce genre d’archives à 75 voire 120 ans… André Garçon