Publié le Mercredi 30 juin 2010 à 19h42.

A propos
 du programme 
du Conseil national
 de la Résistance

 

On a vu ressurgir ces derniers temps des références au programme du Conseil national de la Résistance (CNR), présenté comme une sorte d’idéal républicain, un paradis perdu qu’il faudrait reconquérir. Retour sur un texte profondément marqué par son époque et ses rapports de forces sociaux et politiques ; un texte qui se distingue aussi de nombre de programmes contemporains par le fait d’avoir été… réellement appliqué.

Formé en 1943 pour unifier la résistance intérieure sous l’autorité du gouvernement de Gaulle, le CNR regroupait tous les mouvements armés, les partis de gauche et de la droite non vichyste, les confédérations syndicales. Le PCF et les organisations qu’il contrôlait, en premier lieu la CGT, y avaient un poids notable. à la mort de son fondateur, Jean Moulin, la présidence du CNR revint au démocrate-chrétien Georges Bidault, un futur partisan de l’Algérie française et de l’OAS qui sera contraint à l’exil sous la Ve République.

Adopté le 15 mars 1944, soit moins de trois mois avant le débarquement de Normandie, le programme du CNR développe d’abord une série de mesures, militaires et d’organisation de la population, visant à généraliser la lutte contre l’occupant et les forces de la collaboration ; en particulier, la mise en place des comités locaux et départementaux de la libération, dont il fixe les tâches. La seconde partie, outre des mesures de rétablissement des libertés démocratiques, définit les principaux objectifs à atteindre sur le plan économique et social. Elle annonce la plupart des « réformes indispensables » qui seront mises en œuvre à la Libération, telles que la Sécurité sociale, les nationalisations ou la planification.

Le cadre général est celui de l’union nationale : « l’union des représentants de la Résistance pour l’action dans le présent et dans l’avenir, dans l’intérêt supérieur de la patrie, doit être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant. Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme, tout ferment de division qui pourrait freiner leur action et ne servir que l’ennemi. »

L’exaltation de la « patrie » et de « l’unité » de « notre peuple », avec des accents retrouvés de 1792, est omniprésente. Les « ouvriers » et leurs revendications sont mentionnés, mais tout anticapitalisme est absent. La classe ouvrière n’est revendiquée que comme composante et expression de la « nation ». Les seules grèves citées sont celles du 11 Novembre, « réalisées dans l’union des patrons et des ouvriers ».

Les «féodalités économiques et financières» qu’il faut « évincer » désignent le secteur du grand patronat qui a ouvertement collaboré avec les nazis, et qui ne pourra décemment pas rester en place à la Libération, car le mouvement ouvrier ne l’accepterait pas. D’où les nationalisations, qui aideront aussi au pilotage centralisé de la reconstruction, indispensable pour une économie détruite par la guerre. « Le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques » désigne le transfert de ces secteurs stratégiques à l’état, garant des intérêts généraux des capitalistes. Quant à « la participation des travailleurs à la direction de l’économie », ce n’est pour l’essentiel qu’un slogan creux, qui annonce cependant l’association des bureaucraties syndicales à une large palette d’organismes consultatifs ; tout comme, peut-être, le rôle des ministres PCF dans les gouvernements de 1944-1947.

Le texte comporte par ailleurs ce qui semble a priori une exception étrange : alors que toutes ses têtes de chapitre font l’objet de développements plus ou moins étendus, la seule référence à la situation de l’empire colonial français et de ses peuples est la proposition consistant à octroyer « une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales. » Ce quasi-point aveugle annonce à sa façon les massacres perpétrés par l’armée française à Sétif (le 8 mai 1945, jour même de la victoire en Europe) puis à Madagascar en 1947 ; et caractérise le programme d’union nationale du CNR comme impérialiste et colonialiste.

Au-delà, on peut dire que ce document reflétait deux grandes tendances de l’époque. D’une part, les besoins de la reconstruction de l’économie capitaliste dévastée par la guerre, besoins qui déboucheront, en France comme ailleurs, sur la période de croissance continue des Trente Glorieuses. D’autre part, des rapports de forces caractérisés par la puissance retrouvée du mouvement ouvrier et par une faiblesse structurelle de la bourgeoisie, contrainte dans ces conditions à faire de nombreuses concessions. Le tout, dans un cadre marqué par la pression de l’URSS et la place particulière du parti stalinien français. Bref, une ère depuis longtemps révolue.

Jean-Philippe Divès