Publié le Mercredi 28 juillet 2010 à 09h29.

Culture et liberté en danger

Comme chaque année durant la période estivale des festivals, les acteurs du milieu culturel et artistique se mobilisent contre la casse de l’accès à la culture. Cette année, ces manifestations prennent une tournure particulière, tant les attaques contre les services publics artistiques et culturels sont violentes, entre les restrictions de budget et les statuts toujours plus précaires que subissent de nombreux salariés. Par ailleurs, la volonté du gouvernement de contrôler toute forme de communication et de protestation, notamment sur Internet via la loi Hadopi, met en péril les libertés individuelles et la liberté d’expression.Cet été encore, il faudra se mobiliser face au risque de se voir imposer par les capitalistes une forme de culture dénuée de tout sens critique.

Le secteur artistique et culturel se mobilise

Le secteur artistique et culturel se mobilise depuis plusieurs mois. En effet, ce secteur déjà fragile est clairement menacé par les coupes budgétaires et les réformes en cours. Le budget du ministère de la Culture va être réduit de 10 % en trois ans. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) ne l’épargne bien sûr pas et s’attaque à la fois à l’organisation du ministère, à ses missions et aux financements. Des économies sont exigées aux grands opérateurs institutionnels (scènes nationales, etc.). Mais l’une des plus grosses menaces est indirecte, et nous arrive par le biais de la réforme des collectivités territoriales. En effet, le financement public de la culture est assuré environ à 70 % par les collectivités locales. Face au désengagement de l’État (gel des dotations) et à la baisse de leurs ressources (suppression de la taxe professionnelle), certaines collectivités territoriales ont commencé à faire des coupes drastiques dans leurs budgets. Le secteur artistique et culturel commence déjà à en ressentir les conséquences (baisse des subventions, annulations de festivals, fermetures de lieux, annulations de spectacles), et les perspectives à court terme sont inquiétantes. Dans un secteur qui comprend déjà beaucoup de travailleurs précaires, qu’ils soient salariés permanents ou intermittents du spectacle, on risque d’assister à la disparition de nombreuses structures et compagnies, et à une vague de licenciements… Ce constat est grave pour tous les professionnels. Mais c’est aussi une conception de la culture et de son rôle dans la société qui est menacée. En effet, la culture est l’affaire de tous et participe au développement de chacun en permettant d’accéder à un système d’éducation, à un esprit critique, un mode de vie et de pensée, et de s’insérer dans des espaces publics en se rassemblant autour de valeurs démocratiques communes. La culture n’est pas un luxe individuel, c’est un lien collectif et une nécessité sociale. Le financement public doit garantir un accès à la culture pour tous, sur tout le territoire. L’État devrait également être le garant d’une création qui puisse se développer librement et dans la diversité, sans être soumis à la standardisation et la marchandisation imposées par les industries culturelles. Si les politiques publiques mise en place depuis 50 ans doivent aujourd’hui être questionnées, c’est pour développer le secteur, réfléchir au statut des artistes, développer les initiatives locales, refonder la gestion de certaines commissions, etc. Mais il est urgent de réaffirmer que l’art et la culture ne sont pas des produits comme les autres mais un bien social, auquel tout le monde devrait pouvoir accéder, comme à la santé ou à l’éducation. Depuis mars 2010, plusieurs journées de grève et de manifestation ont eu lieu. Une nouvelle manifestation a rassemblé 1 500 personnes au festival d’Avignon le 15 juillet. Si l’on est encore loin de l’ampleur du mouvement des intermittents en 2003, qui avait paralysé de nombreux festivals en France, c’est aujourd’hui toute la profession qui est rassemblée pour interpeller l’État et exiger une loi d’orientation et de programmation pour la culture et la création accompagnée d’un plan de relance et de développement pour l’art et la culture, des garanties dans le domaine social, avec entre autres le maintien et l’amélioration du statut des intermittents du spectacle, l’arrêt de la RGPP, la dissolution du Conseil de la création artistique, véritable contre-ministère présidé par Nicolas Sarkozy et animé par Marin Karmitz (patron de MK2)… Il faut maintenant que cette mobilisation se développe dans les semaines et les mois à venir et soit portée partout et par tous, artistes, professionnels et publics.

Les artistes défilent à Avignon

Plus de 1 500 personnes ont manifesté le 15 juillet lors de l’ouverture du festival d’Avignon, contre la mort annoncée du spectacle vivant. Appelée par le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), la CGT spectacle, la CFE-CGC, le syndicat national des scènes publiques... cette manifestation voulait protester contre les coupes budgétaires annoncées, la RGPP et la réforme des collectivités territoriales qui auront pour conséquences de précariser encore davantage le spectacle vivant. Des artistes comme Jane Birkin ou Jean-Michel Ribes et des politiques du PS et du PCF ont participé à cette manifestation. Partis du Palais des papes, les manifestants ont occupé symboliquement le Cloître Saint-Louis où se trouvent les bureaux du festival d’Avignon et ont obtenu un entretien avec Pierre Hanotaux, directeur de cabinet du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Celui-ci, fidèle aux principes du gouvernement, a manié le bluff en assurant qu’il n’y aurait pas de baisse dans les budgets. Mais ainsi que le déclarait à l’issue de l’entrevue François le Pillouër, président du Syndeac et directeur du Théâtre national de Bretagne, « La réforme des collectivités territoriales et le désengagement de l’État vont causer des dégâts irrémédiables, remettant en question des dispositifs, des aventures artistiques, le travail de nombreux élus, de responsables culturels, tout cela pour détruire purement et simplement ce qu’ils avaient mis une cinquantaine d’années à élaborer pour le bien public. » La réforme des collectivités territoriales signifie une levée d’impôts de 9 % pour les régions et de 15 % pour les départements, tandis qu’en parallèle, les charges grimpent en flèches.Nul doute que ce genre d’initiatives et de manifestations se multiplieront tout l’été pour que chacun comprenne que cette fois ci, la culture est en danger mortel.

Intermittents toujours en lutte

Cela fait près d’une décennie que les intermittents du spectacle se battent pour défendre leur régime d’assurance-chômage, en particulier le principe de mutualisation des ressources qui, à travers les annexes 8 et 10 de l’Unedic, a formalisé un système d’indemnisation prenant en compte les caractéristiques spécifiques de l’intermittence. Ce mouvement de lutte connaît son apogée en 2003 : grèves impactant de nombreux festivals, manifestations, occupations (ministères, Medef, Unedic et… siège de la CFDT). La mairie de Paris accorde alors aux intermittents en lutte un lieu de rencontre. Très vite, le « 14 quai de Charente » devient un point d’appui pour diverses formes d’action, de pensée, d’accueil, ainsi qu’un lieu de lutte et de convivialité, hors du circuit marchand. S’y tiennent des permanences sociales d’information et de défense des droits auxquelles se sont adressés pour l’heure plus de 3 000 intermittents, chômeurs et précaires. Il abrite également une université ouverte centrée sur l’analyse du néolibéralisme, une cantine, des cours de sport, une bibliothèque, des concerts, des projections, des lectures... Une expérience qui renoue avec la tradition des Bourses du travail… jusqu’à ce que, cette année, la mairie de Paris se mette en tête d’expulser la coordination des intermittents, pour cause de projet immobilier de prestige et sans proposer de relogement permettant le maintien des activités. C’est pour dénoncer cette situation que, fin juin, les intermittents ont occupé le toit de la Samaritaine : l’ancien grand magasin doit être réaménagé en hôtel de luxe, grâce aux bons soins du groupe LVMH… dont le directeur de la stratégie, Christophe Girard, est également maire-adjoint de Paris, chargé de la culture ! Pour manifester sa solidarité, une pétition déjà signée par de nombreux artistes et créateurs – « Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde » – est en ligne sur le site de la Coordination : www.cip-idf.org

Danger au ministère

La culture, ce sont les artistes, intermittents du spectacle, comédiens, poètes, peintres… C’est aussi les musées, les monuments historiques, les bibliothèques, les Archives, le Patrimoine écrit et architectural, l’archéologie, et ses 25 000 salariés, fonctionnaires titulaires, contractuels ou vacataires employés par le ministère de la Culture. Dans ce ministère, comme dans tous, le gouvernement applique la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette réforme se traduit depuis un an par des privatisations, des suppressions de postes et de services entiers, l’accentuation de la précarité, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le désengagement de l’État dans le domaine culturel. Et qui a commencé l’application de la RGPP il y a un an ? Un certain Éric Woerth, alors ministre du Budget et de la Fonction publique dont on connaît le goût personnel pour l’austérité…La première phase de la RGPP a porté sur les missions et l’organisation de l’administration. Les décisions prises ont conduit à la suppression de 100 000 postes entre 2007 et 2010 au titre de la RGPP 1. Au total, près de 1 000 emplois seront supprimés à l’horizon 2011 dans l’ensemble des services et établissements du ministère de la Culture. Et combien en plus avec la RGPP 2 ? Le chiffre évoqué est au moins 350 de plus avant fin 2013, ce qui est énorme pour un petit ministère. Et comme si cela ne suffisait pas, ils veulent mettre le paquet sur les emplois d’accueil, surveillance, magasinage, maintenance mais aussi sur la filière administrative. La solution « miracle » trouvée par Mitterrand, zélé applicateur des consignes gouvernementales, est de privatiser la filière de la surveillance et magasinage, (musées, bibliothèques, archives…) pour le gouvernement. Ainsi, il y a deux semaines, le directeur du Domaine et musée de Fontainebleau, un proche du pouvoir, n’a pas trouvé mieux que d’ouvrir une nouvelle salle du musée, ce qui serait bien en soi, mais d’en confier la surveillance à une boîte privée. Du coup, pas besoin de créer des postes de fonctionnaires et de leur payer des retraites ! D’une pierre deux coups. On le voit, ils franchissent là un ultime palier dans la liquidation du ministère, de ses moyens et de ses emplois... mais aussi dans la provocation. Notre riposte doit être générale et à la hauteur. Dans l’unité, arrêtons le bras des casseurs.