L’école apparaît dans les médias comme un lieu de plus en plus violent. Mais derrière les faits divers et la politique gouvernementale, il faut comprendre les causes sociales de cette violence, et surtout appréhender ce qui fait violence à l’école.
En février dernier, on parlait davantage de l’agression au lycée Chérioux de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) que des suppressions de postes d’enseignants… En avril, Luc Chatel déclarait : « Cela a été un détonateur, une prise de conscience collective que la violence scolaire sous toutes ses formes est insupportable ». Avant les états généraux de la sécurité à l’école, il y avait eu la mise en place des équipes mobiles de sécurité (EMS), d’un policier référent dans certains établissements… Bref, la politique du gouvernement à propos de la violence scolaire est basée sur deux principes : d’une part une politique répressive en réponse immédiate à un fait divers et d’autre part des mesures peu coûteuses, temporaires et sans qu’aucun bilan ne soit jamais tiré. Aucune réflexion en profondeur n’est prévue et surtout aucune remise en cause du fonctionnement de l’école.
Les différents logiciels (Signa puis Sivis) mis en place par le ministère dénombrent 80 000 faits de violence grave (pouvant donner lieu à une qualification pénale) pour l’année 2004-2005, essentiellement des violences physiques sans armes (29,7 %), des insultes ou menaces graves (24,7 %) et des vols ou tentatives (10,5 %). Et si le nombre de faits est en hausse, on ne peut dire si c’est réel ou lié à un meilleur fonctionnement des moyens de signalement ou à l’augmentation de la sensibilité des personnels…
La violence n’est pas un phénomène nouveau
Le xixe siècle est émaillé de révoltes lycéennes, alors que les lycées n’étaient ouverts qu’à l’élite (moins de 2 % d’une classe d’âge) et que la répression était nettement plus sévère (châtiments corporels au fouet ou à la férule1 ; prison, isolement…). De 1870 à 1879, on compte pas moins de 80 révoltes lycéennes, soit 8 % des lycées de France où des maîtres sont frappés, des barricades dressées et parfois il est fait appel à la police ou à l’armée pour en venir à bout !
C’est au milieu des années 1990 que la violence à l’école devient un phénomène de société, présent dans de nombreux médias (notamment la télévision). Ceci a généré essentiellement un « sentiment d’insécurité ». On passe de 7 % des enseignants des collèges « sensibles » qui estiment que leur établissement est violent en 1995 à 49 % en 1998. Chez les élèves, on passe de 24 % à 41 % pour la même période…
Cependant, cette violence touche 17 % des établissements en France, dont la plupart sont en zone d’éducation prioritaire (ZEP). La carte des faits violents recouvre celle de la ségrégation sociale. L’école n’est pas un sanctuaire préservé de la violence de la société. Au contraire, elle est un des lieux où se joue la violence de la société : racisme, discrimination, conflits internationaux, mais aussi (surtout !) la violence de la reproduction sociale.
La violence du système scolaire
En 1995, selon l’observatoire des inégalités, 67 % des élèves inscrits en 6e sont des enfants d’ouvriers, d’employés, d’inactifs ou de petits artisans mais ils ne sont plus que 15 % inscrits en classes préparatoires. Si 75,7 % des enfants des cadres supérieurs obtiennent un bac général (L, S ou ES), ils ne sont plus que 48,4 % chez les employés et 34 % chez les ouvriers. Cette orientation « naturelle » s’obtient grâce à l’échelle des notes. On ne parle jamais de cette violence scolaire (avoir 0, être « nul » ou « mauvais » sur les copies) et des humiliations collectives ou individuelles (les classements et les appréciations, les remarques en classe). On ne parle que des moyennes, qui apparaissent comme le critère plus objectif pour sélectionner les jeunes et décider de leurs futures professions. Sans compter que les orientations en conseil de classe ne se font pas tant sur le « niveau » de l’élève que sur la prise en compte de son capital culturel. La hiérarchisation des filières permet de distribuer les individus dans les différentes classes sociales.
Enfin pour les jeunes récalcitrants, si les châtiments corporels à l’école sont interdits en France depuis 1887, une enquête de 1985 révélait que 15 % des instituteurs avaient encore recours à la fessée. Les conseils de discipline en collège et lycée sont un remède pour l’établissement (exclure un élève perturbateur), plutôt que pour l’élève…
La violence scolaire révèle surtout la violence de la sélection sociale au travers du prisme de l’école. Il n’y a pas de solution à long terme à cette violence sans résoudre la violence de la lutte des classes, c’est-à-dire sans changement définitif de société.
Raphaël Greggan