De Sétif à l’indépendance, le dernier film de Rachid Bouchareb raconte la guerre d’Algérie du point de vue de ceux qui ont subi la colonisation. Le très beau film de Rachid Bouchareb commence par le massacre de Sétif à l’origine de la guerre d’Algérie qui ne débuta officiellement que neuf ans plus tard. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les alliés, dont la France libre, signent la Charte de l’Atlantique qui proclame « le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Et pourtant, le 8 mai 1945, alors que les foules parisiennes fêtent ce droit, à Sétif en Algérie, un jeune garçon portant un drapeau algérien est abattu par l’armée française. C’est le contraste entre les sourires dans les images d’archives à Paris et la douleur des survivants du massacre de Sétif qui dévoile toute l’hypocrisie du discours officiel de notre belle République.60 ans plus tard, cette hypocrisie est toujours vivante et pas uniquement chez les nostalgiques de l’Algérie française qui ont crié au scandale lors de la projection du film au festival de Cannes. Il y a seulement quatre ans, l’UMP a tenté d’imposer une loi prévoyant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Ce film, qui raconte l’histoire de l’Algérie jusqu’à la victoire du FLN et l’indépendance en 1962, est donc plus que bienvenu car pour la première fois dans un film grand public, avec des acteurs très connus, l’histoire de la colonisation est racontée du point de vue de ceux et celles qui l’ont subie et combattue. Pourtant ce n’était pas gagné d’avance et Bouchareb a expliqué qu’il avait dû réaliser et réussir un premier film – Indigènes – sur un sujet relativement plus consensuel afin d’avoir la crédibilité et le soutien pour faire le film dont il avait toujours rêvé. De la première scène magnifique qui montre le vol de la terre – l’essence même de la colonisation – , jusqu’aux scènes de liesse de l’indépendance, le film nous fait vivre à travers la vie de trois frères très différents marqués par Sétif, les diverses facettes de la résistance algérienne à Paris et la répression féroce de la police française. Cette grande fresque raconte la vie dans le bidonville de Nanterre, la minorité de Français « porteurs de valises » qui soutiennent la cause algérienne, la dureté de la lutte armée, les dérives qu’elle entraîne mais aussi les cas de conscience et bien d’autres thèmes comme le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961. Lors de la sortie en France d’Indigènes, des dizaines de milliers de jeunes des quartiers, issus de l’immigration nord-africaine ont découvert (parfois en retournant le voir deux ou trois fois) une partie de leur histoire qu’ils avaient captée par bribes de leurs parents ou grand-parents mais qui est rarement racontée à l’école. On peut espérer que ce nouveau film aura autant de succès auprès d’un public encore plus large parmi lequel se trouveront peut-être de futurs réalisateurs de films sur d’autres épisodes cachés, sur d’autres massacres de l’empire colonial français, du Vietnam à Madagascar en passant par la Côte d’Ivoire1. Ross Harrold1. À lire Les massacres coloniaux d’Yves Benot,La Découverte.